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KABYLES

La langue et la littérature kabyles

La langue kabyle est le dialecte berbère parlé par le plus grand nombre de berbérophones en Algérie. Dans les montagnes on ne connaît pas d'autre mode d'expression quotidien, et dans les villes comme Alger, Constantine, Sétif, Béjaia et Annaba, peuplées pour moitié de Kabyles, elle est employée au foyer et accessoirement dans la rue. Mais elle n'est ni écrite ni enseignée. Jusqu'à la seconde moitié du xixe siècle, aucun Kabyle ne s'y intéressa sérieusement. Ce sont les Européens qui, les premiers, lui accordèrent quelque intérêt : d'abord des militaires intéressés ou désœuvrés ou des diplomates curieux, puis des linguistes, rarement, hélas ! des hommes de lettres. C'est grâce à leurs travaux et à ceux de quelques pionniers kabyles qu'un travail sur la littérature kabyle est devenu possible.

Essentiellement orale encore, la littérature kabyle est représentée par deux genres majeurs : la poésie et le conte. L'une et l'autre se transmettent dans une langue sensiblement différente de la quotidienne, archaïque par certains côtés, à la pointe du modernisme par d'autres, ce qui lui donne un cachet littéraire sans constituer un obstacle à sa compréhension par tous les Kabyles. Plus consciente, cependant, la poésie semble avoir le pas sur le conte qui n'a pas encore débouché sur la prose artistique ; en cela la littérature kabyle confirme cette loi de l'histoire littéraire : toute littérature commence par la poésie.

Poésie de la guerre et de l'amour

Les plus anciennes transcriptions de poèmes kabyles en caractères latins remontent au début du xixe siècle, à 1829 plus exactement, et sont dues à l'Américain W. Hodgson. Elles font partie de sa Collection of Berber Songs and Tales, dont le manuscrit original se trouve à la bibliothèque de la Société asiatique de Paris. Ce n'est que trente-huit ans plus tard, en 1867, qu'Adolphe Hanoteau, alors colonel commandant la place de Fort-l'Empereur, publiait ses Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura, texte et traduction. En 1899, J. D. Luciani faisait paraître un recueil de poèmes historiques d'Ismaïl Azikkiou. Enfin, en 1904, et pour la première fois semble-t-il, un Kabyle, Si Amar ou Saïd dit Boulifa, offrait au public un Recueil de poésies kabyles qui allait devenir le livre de poésie par excellence, à cause sans doute de la place faite au plus grand poète kabyle connu, Si Mohand ou M'Hand, mort en 1906. Depuis, il n'y eut plus de publication notable. Les quelques rares personnes qui s'intéressèrent à la poésie kabyle se contentèrent d'offrir des traductions sans jamais les faire accompagner du texte dont ils ne possédaient pas les... manuscrits. Ce fut le cas de Jean Amrouche en 1939 et de Pierre Savignac en 1964.

Il n'existe pas de mot kabyle pour désigner exclusivement la poésie. Chaque genre a son nom propre. Le poème épique est dit taqsit (histoire, geste), le poème lyrique asfrou (élucidation) et la pièce légère izli (courant d'eau). Cependant, le mot asfrou tend de plus en plus à désigner le poème sans distinction de genre et, au pluriel, isfra, la poésie en général. Cette spécialisation est confirmée par l'usage que les poètes épiques faisaient du même mot dans leurs exordes qui débutent parfois par ce vers : « A yikhf iou refd asfrou » (« Ô ma tête, fais jaillir un poème »). Par ailleurs, le verbe sfrou (démêler, élucider, percer l'inconnu), employé sans complément, est consacré dans le sens exclusif de dire ou réciter des vers, de la poésie, quel qu'en soit le genre.

Le taqsit, à thème historique, était très répandu dans le milieu tribal kabyle. Chaque confédération, chaque tribu, parfois même chaque village avait son ou ses bardes, dont la fonction consistait à composer des chants[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris
  • : docteur d'État, professeur d'université

Classification

Pour citer cet article

M'Barek REDJALA et Bouziane SEMMOUD. KABYLES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Lounès Matoub - crédits : Sophie Bassouls/ Sygma/ Sygma/ Getty Images

Lounès Matoub

Autres références

  • AMROUCHE JEAN (1906-1962)

    • Écrit par Universalis
    • 338 mots

    Jean el-Mouhouv Amrouche est né à Ighil-Ali (Petite Kabylie). Peu de temps après sa naissance, sa famille, christianisée et francisée, émigre à Tunis. Après des études au collège Alaoui de cette ville, Jean Amrouche est reçu à l'École normale supérieure de Saint-Cloud ; il devient ensuite professeur...

  • AMROUCHE TAOS (1913-1976)

    • Écrit par Jacqueline ARNAUD
    • 1 190 mots

    Sœur de l'écrivain Jean Amrouche, Taos Amrouche appartient à la Petite Kabylie, par son père, à la Grande Kabylie, par sa mère. Mais les hasards de l'histoire qui voulut que ses parents, en échange d'une bonne instruction française, fussent amenés à adopter le christianisme, puis la nationalité...

  • BERBÈRES

    • Écrit par Salem CHAKER, Lionel GALAND, Paulette GALAND-PERNET
    • 7 639 mots
    ...(Tunisie, Libye, Égypte, Mauritanie) qui abritent des groupes berbérophones réduits, dont le poids social et politique est insignifiant. Le cas des Kabyles est frappant à cet égard : ils ont à la fois fourni une grande part des élites de l'Algérie indépendante et constitué une des principales forces...
  • IDIR (1949-2020)

    • Écrit par Patrick LABESSE
    • 971 mots

    Le chanteur et musicien kabyle Idir fut, dans les années 1970, le compositeur et interprète de « A Vava Inouva », le premier succès international maghrébin. Il a traversé les générations et au-delà de la communauté kabyle, rallié autour de lui un public arabophone et français. Le sociologue Pierre...

Voir aussi