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BACH JEAN-SÉBASTIEN (1685-1750)

La symbolique de Bach

Les symboles qui nourrissent la musique de Bach ont soulevé beaucoup de controverses. Certains voudraient ramener à l'étroite musique ce qui, précisément, tend à la dépasser et à la pousser jusqu'au chiffre sonore d'une idée, d'un phénomène ou d'un état psychique. Mais, là encore, en dépit des gloses, c'est l'œuvre qu'il faut consulter, et la présence d'une symbolique dans la musique de Bach ne peut pas être mise en doute. Pourrait l'être seulement la conscience claire que Bach en eut ; mais, quand on connaît le goût du temps pour la numérologie, les phénomènes oniriques – qui compensent singulièrement la tendance rationaliste du siècle –, le symbolisme par quoi l'on tend à des équivalences de synthèse entre toutes les manifestations naturelles ou surnaturelles – rapports des sons, des nombres et des couleurs, rapports des tonalités et des états d'âme, personnification par un graphisme musical d'un être ou d'un objet, ou d'une de leurs propriétés –, on ne peut douter que Bach, qui aimait ces « franges d'ombre », n'ait eu un goût délibéré pour ces correspondances où il allait puiser de quoi enrichir sa musique. Il ne faut pas confondre, néanmoins, symbole et description : une ondulation d'arpèges peut figurer chez Bach les vagues du Jourdain, mais le dessin prévaut sur le résultat sonore. Souvent le symbole se voit plus qu'il ne s'entend, et la conjonction entre la vue et l'ouïe ne s'accomplit que si l'on a connaissance de la chose exprimée. Aussi bien, jamais Bach, qui fit pourtant grand usage de la description (comme la plupart des musiciens de son temps et de tous les temps), ne laisse celle-ci prévaloir sur l'équilibre de la forme et l'unité du style. Son monothématisme à lui seul le démontre. La polyphonie, du simple fait de sa nature, voile le dessin symbolique qui peut y être inclus. Mais celui-ci détermine souvent son caractère. Ce chiffre symbolique se présente alors comme une sorte de germe donnant cours à toute une prolifération arborescente. Partant de là, l'interprétation doit refaire, en quelque sorte, le même parcours. Bach attachait une grande importance au langage : aux titres, par exemple, tout autant qu'au texte d'un choral ou d'une cantate. C'est à l'ordinaire le poème qui lui suggère le symbole sonore. Répétition d'une même note : c'est la tombée du jour et, par extension, la fin de la vie ou le cérémonial funèbre (les glas, par exemple). Dessins chromatiques : c'est l'état anxieux, et sa cause (conflit intérieur) et sa conséquence (instabilité, souffrance obsédante). L'Agneau sauveur, c'est l'équilibre harmonieux de la double nature et, par extension, le rythme masculin équilibré et attendri par le rythme ternaire féminin. Chaque fois que Bach veut en quelque sorte nous conduire aux portes du bonheur ou du paradis, il s'exprime instinctivement en féminisant ses rythmes et ses courbes ; aveu profond qui montre à quel point cet homme avait le sens du rapport complémentaire des deux natures. Dans ce tissu si riche de la symbolique se découvre un des aspects les plus mystérieux de ce musicien et notamment la part prophétique qu'il faudrait longuement étudier pour mieux saisir jusqu'où sa raison se fonde.

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Écrit par

  • : compositeur, inspecteur principal de la musique au ministère de la Culture, Paris

Classification

Pour citer cet article

Luc-André MARCEL. BACH JEAN-SÉBASTIEN (1685-1750) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jean-Sébastien Bach - crédits : Rischgitz/ Hulton Archive/ Getty Images

Jean-Sébastien Bach

La famille Bach, Rosenthal - crédits : Bettmann/ Getty Images

La famille Bach, Rosenthal

Autres références

  • MORT DE JEAN-SÉBASTIEN BACH

    • Écrit par Alain PÂRIS
    • 184 mots
    • 1 média

    Le 28 juillet 1750, Jean-Sébastien Bach meurt à Leipzig. Musicien universel, il est considéré comme un point de départ auquel se référeront tous ses successeurs. Son approche de la musique, essentiellement polyphonique – sa maîtrise de la fugue n'a jamais été égalée – met un point final...

  • ARRANGEMENT, musique

    • Écrit par Michel PHILIPPOT
    • 4 319 mots
    • 1 média
    ...parfois éminents qui n'hésitaient pas à déformer l'œuvre pour la mettre à ce qu'ils croyaient être le goût du jour (par exemple, des chorals de J.-S. Bach avaient été arrangés par Gounod). Beaucoup plus rarement, il est arrivé qu'un instrument ayant eu une vie très éphémère l'ait eue cependant assez...
  • ATONALITÉ

    • Écrit par Juliette GARRIGUES, Michel PHILIPPOT
    • 4 382 mots
    • 9 médias
    ...Andreas Werckmeister. Elle eut pour conséquence de rendre également utilisable chacune des notes de la gamme chromatique dans quelque tonalité que ce soit. Bach, dans son Clavier bien tempéré, apportait une démonstration géniale et éclatante de la valeur pratique de cette théorie en écrivant effectivement...
  • BACH CARL PHILIPP EMANUEL (1714-1788)

    • Écrit par Marc VIGNAL
    • 969 mots

    Le deuxième des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien Bach, Carl Philipp Emanuel, naît à Weimar, mais n'a pas dix ans lorsque sa famille s'installe à Leipzig. Il y est externe à l'école Saint-Thomas, mais il reconnaîtra volontiers n'avoir eu comme professeur, en matière de musique, que son...

  • BACH JOHANN CHRISTOPH FRIEDRICH (1732-1795)

    • Écrit par Marc VIGNAL
    • 801 mots

    Neuvième enfant de Jean-Sébastien Bach et fils aîné de ses secondes noces avec Anna Magdalena, troisième des quatre fils musiciens de Jean-Sébastien, il aura, contrairement à ses frères, une carrière assez modeste et peu agitée. Il vient de s'inscrire à la faculté de droit de Leipzig, sa ville...

  • Afficher les 60 références

Voir aussi