JAURÈS JEAN (1859-1914)
Au tournant du siècle. Les nouvelles responsabilités nationales
Les écrits et les actes de Jaurès, entre 1893 et 1898, expriment une foi très vive, presque messianique, dans l'imminence de la révolution, foi qu'il partage avec la grande majorité des socialistes français, en particulier avec les guesdistes, sur le programme desquels, sans adhérer à leur parti, il a été élu député. Cependant, la reprise de l'expansion économique, la contre-attaque de la bourgeoisie opportuniste avec Casimir-Perier, Méline, Charles Dupuy, la découverte, pendant l'affaire Dreyfus, à laquelle il se consacre entièrement en 1898-1899, de la puissance de l'appareil d'État – armée, justice – l'amènent à une vue plus proche du réel : sans rien renier du socialisme, il faut d'abord consolider la République et travailler à l'unité.
L'unité socialiste
Réaliser l'unité, ce n'est pas seulement créer une force politique nouvelle indispensable pour la lutte, c'est aussi répondre à l'unité de nature du prolétariat : sur ce plan, Jaurès, si souvent maltraité par les marxistes français et allemands, si vivement critiqué par Engels et Rosa Luxemburg, et si étrange aux yeux de Lénine, est profondément marxiste. Seule d'ailleurs, pense-t-il, l'unité socialiste permettra à la classe ouvrière de pratiquer une large politique d'alliances, de regrouper autour d'elle la paysannerie en difficulté et les intellectuels que leurs origines sociales n'empêchent pas d'être accessibles à la nécessité de renouveler profondément la pensée traditionnelle.
Mais l'unité ne peut se faire que dans et par la République, car, « sans la République, le socialisme est impuissant, et sans le socialisme, la République est vide ». Nécessité qui lui paraît liée en France à la grande tradition de 1789-1793 : il s'en fait l'historien dans l'Histoire socialiste de la Révolution française(1901-1904), histoire marxiste, nationale en même temps que républicaine.
La mise en œuvre de l'unité est difficile : le morcellement du socialisme français n'est pas le résultat du hasard ni de la seule mauvaise volonté des hommes. De 1899 à 1904, Jaurès est littéralement déchiré entre les exigences de la « défense républicaine » et celles du socialisme révolutionnaire : il choisit la première comme une étape nécessaire, et devient le « saint Jean Bouche d'Or » du bloc des gauches. Bientôt les appels de la base et de l'Internationale, la conscience que la politique du bloc a épuisé ses effets, les débuts de la tension diplomatique européenne et les espoirs nés de la première révolution russe le poussent à mettre à nouveau au premier plan « le beau soleil de l'unité socialiste ». Celle-ci se réalise en avril 1905.
Jaurès, la S.F.I.O. et la C.G.T.
La constitution de la S.F.I.O. (Section française de l'Internationale ouvrière) confère à Jaurès de nouvelles responsabilités nationales, non qu'il en soit le leader incontesté : jusqu'en 1908 au moins, et même, à bien des égards, jusqu'en 1912, les diverses tendances luttent entre elles et Jaurès, malgré L'Humanité fondée en avril 1904 et dont il a gardé la direction, est souvent récusé, dans l'appareil du parti surtout. Peu à peu, il consolide son influence, s'appuyant largement sur l'immense popularité que ses dons oratoires, sa compétence en tout domaine, son courage et son total dévouement lui valent dans les masses populaires. Meetings à Paris et en province, activité parlementaire harassante, direction du journal. Allié souvent au vieux communard Édouard Vaillant, tant respecté dans la fédération de la Seine du parti, il tente d'amener le socialisme français à assumer ses responsabilités nationales et internationales.
Il s'agit d'abord[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Madeleine REBÉRIOUX : professeur émérite à l'université de Paris-VIII
Classification
Média
Autres références
-
COLONIALISME & ANTICOLONIALISME
- Écrit par Jean BRUHAT
- 6 503 mots
- 2 médias
.... Mais, dans la pratique politique, il y a beaucoup de fluctuations. Un socialiste allemand comme Edouard Bernstein justifie l'expansion coloniale. La position de Jaurès a très sensiblement évolué. Il considère d'abord comme un fait que « tous les peuples sont engagés dans la politique coloniale ».... -
DREYFUS (AFFAIRE)
- Écrit par Vincent DUCLERT
- 4 892 mots
- 3 médias
...des gauches aux élections de 1902 rendirent possible une relance de l'événement. La troisième affaire Dreyfus éclata véritablement en avril 1903, lorsque Jean Jaurès exposa devant les députés le devoir moral et politique de faire toute la lumière et de parvenir à la réhabilitation du capitaine Dreyfus.... -
GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE)
- Écrit par Marc FERRO
- 12 473 mots
- 51 médias
...guerres [...], les trusts et les cartels étaient intéressés au maintien de la paix [...], comme la crise du Maroc, en 1911, en avait porté témoignage. En 1913, le Français Jean Jaurès et l'Allemand R. Hasse affirmaient : « La plus grande garantie pour le maintien de la paix repose dans les investissements... -
MARXISME - Les révisions du marxisme
- Écrit par Pierre BOURETZ et Evelyne PISIER
- 3 663 mots
- 1 média
...Kautsky illustre bien ce que sera le contenu d'un révisionnisme assimilé au socialisme démocratique, avec toutes ses ambiguïtés. De même, en France, Jean Jaurès et plus tard Léon Blum, figures emblématiques du révisionnisme social-démocrate, en resteront marqués chacun à sa manière. Ainsi Jaurès,... - Afficher les 8 références