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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) Les arts plastiques

Le modèle américain

Saul Steinberg, l'illustrateur attitré de l'hebdomadaire The New Yorker, propose pour sa couverture de l'édition du 19 mai 1962 une allégorie des Beaux-Arts au cœur de laquelle un aigle symbolisant l'école de New York prend appui, à défaut de la piétiner, sur une guitare censée représenter l'école de Paris. Le dessin ne fait que confirmer ce que nul ne peut démentir : au tournant des années 1960, une rupture a eu lieu, à la faveur de laquelle l'art américain, qui avait souffert pendant plusieurs décennies d'un « complexe continental », a trouvé les moyens de renforcer une aura jamais démentie depuis lors. Les raisons, multiples, de cette « prise de pouvoir » sont liées au climat moribond des différents centres culturels européens, mais aussi à l'adéquation des valeurs véhiculées par une abstraction américaine au sommet de sa gloire avec celles d'une société incarnant une certaine idée de la liberté.

Les années 1960 constituent une décennie charnière dans l'histoire de l'art contemporain américain. Elles marquent la consécration d'un récit – celui du modernisme – et son dépassement. C'est tout au long de cette décennie que seront posées les bases et les ramifications des tendances à venir, qu'elles soient proches ou lointaines. C'est enfin à partir des années 1960 que le modèle américain finira par s'imposer en dehors de ses frontières, contaminant des centres européens lassés d'un héritage trop lourd à assumer.

L'affirmation d'une identité artistique américaine

Le « triomphe de l'art américain », pour reprendre le titre du classique d'Irving Sandler, est dû à la mise en place chez les critiques, les artistes, les institutionnels et les marchands d'une stratégie commune visant à souligner la dimension vernaculaire de leur création. Tandis que dans la plupart des pays européens, exception faite des régimes totalitaires, l'idée d'un art patriotique entraîne une certaine forme de circonspection, les Américains n'hésitent pas à miser sur une forme de protectionnisme qui les tient à l'écart d'un art européen, qu'après l'avoir longtemps adulé ils jugent désormais nuisible. Dès 1948, le peintre Barnett Newman précise : « Nous devons nous libérer des impératifs de la mémoire, l'association, la nostalgie, la légende, le mythe, de tout ce qui a nourri la peinture européenne occidentale » (« The sublime isnow »). Son confrère Clyfford Still arrive à la même conclusion, lorsqu'il affirme : « Où que nous puissions regarder durant les années 1920 [...], nous avons manifestement trouvé très peu de réponses valables concernant l'intuition ou l'imagination. Ceux qui se sont tournés vers l'ancien continent pour y chercher les moyens d'accroître, ici, dans un pays plus neuf, leur autorité, n'ont pas dissipé le brouillard ; ils l'ont épaissi... » (lettre à Gordon M. Smith, 1er janvier 1959). Ces propos montrent que les ressorts esthétiques essentiels aux artistes américains sont tributaires de considérations idéologiques.

Celui qui a de toute évidence excellé dans cet amalgame est le critique d'art Clement Greenberg. C'est à lui que reviennent en grande partie l'édification et la fortification du mythe selon lequel l'art américain se serait coupé de ses racines européennes. Tout au long d'une carrière dévouée à l'apologie de l'abstraction new-yorkaise, dans laquelle il a toujours voulu voir l'étape ultime d'un récit évolutionniste dit « moderniste », Greenberg se fait le porte-parole des différentes mutations qui, de l'expressionnisme abstrait (Jackson Pollock, Willem de Kooning) au colorfield (Barnett Newman, Mark Rothko, Clyfford Still), aboutissent[...]

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Écrit par

  • : professeur d'art et littérature des États-Unis à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
  • : professeur d'histoire de l'art, École normale supérieure de Lyon, directeur de l'Institut national d'histoire de l'art, Paris
  • : maître de conférences en histoire de l'art contemporain à l'université de Valenciennes, critique d'art, commissaire d'expositions
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis et Erik VERHAGEN. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Portrait de George Washington, G. Stuart - crédits : Courtesy, Museum of Fine Arts, Boston, États-Unis. William Francis Warden Fund, John H. and Ernestine A. Payne Fund, Commonwealth Cultural Preservation Trust

Portrait de George Washington, G. Stuart

<em>La Course des frères Biglin</em>, T. Eakins - crédits : courtesy National Galery of Art, Washington

La Course des frères Biglin, T. Eakins

<it>Lady Agnew of Lochnaw</it>, J. S. Sargent - crédits :  Bridgeman Images

Lady Agnew of Lochnaw, J. S. Sargent

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