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BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)

Le plus grand créateur de la sculpture du xxe siècle s'est enfui à l'âge de onze ans du domicile familial (Pestişani, province d'Olténie, Roumanie méridionale). Il a erré seul, en travaillant comme apprenti teinturier ou garçon de café, pendant six ans, jusqu'à ce qu'un client aisé d'un café de Craiova, qui l'écoutait jouer du violon, apprenne que Brancusi avait fabriqué son instrument lui-même, et le fasse entrer à l'École des arts et métiers de la ville. Histoire singulière, qui tient du conte de fée, mais éclaire la personnalité d'un homme qui s'est formé dans la solitude et qui a su transformer de précoces connaissances artisanales en art suprême.

Après quatre années passées à l'École des arts et métiers, Brancusi est entré à l'École des beaux-arts de Bucarest en 1898. Il y obtient une mention pour un buste de Vitellius, une médaille de bronze pour un buste d'après le Laocoon en 1900. En 1902, il réalise, en assemblant les moulages qu'il a faits de chaque muscle d'un cadavre à la faculté de médecine, un Écorché en terre glaise qui dénote une maîtrise exceptionnelle de l'anatomie. Parti pour Paris à pied, sac au dos, en 1904, il y arrive en jouant de la flûte le 14 juillet. Excellent présage, à ses yeux, pour un jeune artiste inconnu, qui attirera bientôt, dans son célèbre atelier de l'impasse Ronsin, aujourd'hui fidèlement reconstitué devant le Centre Georges-Pompidou, les plus grands artistes et écrivains de l'époque : Marcel Duchamp, Man Ray, Tristan Tzara, Erik Satie, Ezra Pound, James Joyce, etc. Pour survivre, il avait commencé par travailler comme plongeur au restaurant Chartier. Il suit les cours de l'atelier Mercier à l'École des beaux-arts et, trois ans après son arrivée, il dépasse l'esthétique de Rodin par le hiératisme et la simplicité de La Prière, qu'il réalise pour un monument du cimetière Dumbrava de Buzau, en Roumanie. Il aborde la même année la taille directe de la pierre pour sa Tête de jeune fille et parvient dès 1909 à la perfection de son art. Éliminant toute référence au muscle – ce qu'il appelait le « bifteck », qu'il accusait les suiveurs de Michel-Ange de confondre avec l'expression de l'énergie –, il rejoint l'idée platonicienne d'une forme pure, antérieure aux accidents terrestres, mère de tout ce qui est vivant. Il transcende du même coup tous les mouvements d'avant-garde, surplombe gaiement le dadaïsme, ignore le surréalisme, bien que certains de ses amis y participent. Toujours habillé de blanc et fabriquant lui-même ses meubles, son poêle, ses ustensiles de cuisine, il règle la disposition de ses œuvres selon un ordre particulier, qui frappe ses visiteurs par sa beauté. Ayant demandé à Man Ray de lui apprendre à faire et à développer des photos, il photographiera toutes ses œuvres, de manière qu'on sache les regarder sans jamais séparer le socle de la sculpture proprement dite. En effet, le socle qu'il conçoit et sculpte pour chacune de ses figures établit avec elles un dialogue essentiel, semblable à celui de la terre et du ciel. Fidèle jusqu'au bout à l'esthétique et à la philosophie qu'il s'est choisies, qui englobent la tradition byzantine, Socrate et Milapéra, Brancusi a dominé son époque en introduisant dans l'art moderne une volonté nouvelle d'universalité, liée au désir de paix et au refus de la catastrophe qui le hantait : un nouveau Déluge, qui engloutirait l'univers entier.

À la recherche de la forme pure

L'atelier de l'impasse Ronsin, où Brancusi a habité de 1916 à 1957, faisait partie d'un petit village, où ses voisins furent toujours des artistes : Max Ernst, Jean Tinguely, mais aussi Natalia Dumitresco et Alexandre Istrati, deux peintres roumains,[...]

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Pour citer cet article

Alain JOUFFROY. BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Groupe des Tétrarques, Venise - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Groupe des Tétrarques, Venise

Autres références

  • ANDRE CARL (1935-2024)

    • Écrit par Universalis, Béatrice PARENT
    • 770 mots

    Né le 16 septembre 1935 à Quincy (Massachusetts), le sculpteur Carl Andre étudie l’art de 1951 à 1953 à la Phillips Academy d’Andover. Après un bref passage au Kenyon College de Gambier (Ohio), en 1954, il voyage en Angleterre et en France. En 1957, il s’installe à New York, où il rencontre ...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Sculpture

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 2 362 mots
    • 4 médias
    ...été installés dans les jardins de Westminster devant le Parlement dès 1911, à un moment où aucune de ses œuvres ne trouve place dans l'espace parisien. Brancusi, figure centrale dans l'invention de la sculpture contemporaine, même s'il ne réside pas dans la capitale anglaise, y expose aussi : il...
  • CUBISME

    • Écrit par Georges T. NOSZLOPY, Paul-Louis RINUY
    • 8 450 mots
    Laprésence de Constantin Brancusi (1876-1957) dans cette liste nous étonne aujourd'hui, car il existe une réelle différence entre la simplification des volumes caractéristique de son art et la déconstruction analytique de l'espace cubiste. Si Le Baiser (pierre, 1907-1908, Muzeul de Arta,...
  • DESCRIPTION (esthétique)

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 1 138 mots

    L'histoire de l'art ne peut se construire qu'à partir de l'examen attentif de l'apparence, aussi la description est-elle l'un de ses outils d'investigation fondamentaux. Des travaux, comme ceux de Philippe Hamon (La Description littéraire : anthologie de textes...

Voir aussi