Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)

Un optimisme révolutionnaire

Travaillant simultanément à plusieurs projets, sans cesse remis sur le chantier, Brancusi avait conçu dès 1922 une sculpture sur le thème du Coq gaulois, réduit à sa crête dont les quatre arêtes étaient censées correspondre aux syllabes du chant d'éveil. Mais il les limite ensuite à trois. Quand il en coule un modèle en bronze en 1935, il le dispose sur un socle en pierre et en bois qui rappelle encore La Colonne sans fin. Parallèlement, il a transformé le thème de la Muse endormie en Prométhée, puis dans Le Nouveau-Né de 1915, La Sculpture pour aveugles de 1916, jusqu'au magnifique Commencement du monde de 1924, où la forme ovoïde est librement disposée sur un disque en acier poli. Au travers des variations formelles de ces sculptures, l'idée d'une origine unique, biologique et spirituelle, leur est commune. Dans plusieurs autres pièces horizontales, il dédoublera l'objet par son image dans le miroir : Le Poisson de 1922, en marbre jaune, Le Nouveau-Né II de 1925, Le Poisson de 1926, en bronze poli sur disque en acier, etc. En 1943, il réalise l'une de ses plus belles œuvres : Le Phoque, en marbre veiné gris, sur deux tables en pierre, dont celle du haut tourne à l'aide d'un moteur.

Bestiaire qui ne fait pas de Brancusi un sculpteur animalier, puisqu'il traite de la même manière la tête humaine dans ses portraits de Mademoiselle Pogany de 1913 et 1919, ou La Princesse X de 1916, qui fit scandale en 1920 au Salon des indépendants : Matisse crut y reconnaître un phallus, alors qu'elle avait été exposée sans problème en 1917 à New York. Elle fut enlevée avant le passage du ministre. Interviewé ensuite, Brancusi a déclaré : « Ma statue [...], c'est la synthèse de la femme, l'Éternel féminin de Goethe, réduit à son essence. Cinq ans, j'ai travaillé, j'ai fait dire à la matière l'inexprimable [...]. Et je crois, enfin vainqueur, avoir dépassé la matière. » Un manifeste, signé par ses amis Picabia, Erik Satie, mais aussi par Derain, Picasso, Laurens, Léger, Cocteau, Reverdy, Cendrars, prit fait et cause pour Brancusi, et du même coup pour l'indépendance de l'art.

Ce scandale, fondé sur une morale conservatrice assez sommaire, a lié Brancusi à l'histoire des idées les plus émancipatrices de l'avant-garde. Mais le rêve utopique de Brancusi, qui l'a incité à créer, en 1945, une Borne-frontière dont la partie supérieure et la base reprennent le motif amoureux du Baiser, fut celui d'un homme qui croyait à l'unification finale de tous les peuples de la planète. Dans un scénario écrit en 1934 : Cent Vingt Années à venir, il prévoyait ce « happy end » historique pour 2054. À la question : lorsque le monde sera unifié, sera-t-il différent ? sa réponse était : « Oui, l'esprit sera différent. » La grandeur d'un sculpteur dont l'unique religion était celle de la beauté tient aussi à cet optimisme révolutionnaire.

— Alain JOUFFROY

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Alain JOUFFROY. BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Groupe des Tétrarques, Venise - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Groupe des Tétrarques, Venise

Autres références

  • ANDRE CARL (1935-2024)

    • Écrit par Universalis, Béatrice PARENT
    • 770 mots

    Né le 16 septembre 1935 à Quincy (Massachusetts), le sculpteur Carl Andre étudie l’art de 1951 à 1953 à la Phillips Academy d’Andover. Après un bref passage au Kenyon College de Gambier (Ohio), en 1954, il voyage en Angleterre et en France. En 1957, il s’installe à New York, où il rencontre ...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Sculpture

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 2 362 mots
    • 4 médias
    ...été installés dans les jardins de Westminster devant le Parlement dès 1911, à un moment où aucune de ses œuvres ne trouve place dans l'espace parisien. Brancusi, figure centrale dans l'invention de la sculpture contemporaine, même s'il ne réside pas dans la capitale anglaise, y expose aussi : il...
  • CUBISME

    • Écrit par Georges T. NOSZLOPY, Paul-Louis RINUY
    • 8 450 mots
    Laprésence de Constantin Brancusi (1876-1957) dans cette liste nous étonne aujourd'hui, car il existe une réelle différence entre la simplification des volumes caractéristique de son art et la déconstruction analytique de l'espace cubiste. Si Le Baiser (pierre, 1907-1908, Muzeul de Arta,...
  • DESCRIPTION (esthétique)

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 1 138 mots

    L'histoire de l'art ne peut se construire qu'à partir de l'examen attentif de l'apparence, aussi la description est-elle l'un de ses outils d'investigation fondamentaux. Des travaux, comme ceux de Philippe Hamon (La Description littéraire : anthologie de textes...

Voir aussi