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BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957)

Une maison du monde à ciel ouvert

Maïastraïa, le premier oiseau auquel Brancusi ait dédié, en 1910, une sculpture révélatrice de son besoin de rejoindre le « sommet des sommets », est celui qui, dans les légendes et les contes populaires roumains, « aide le Prince charmant à délivrer sa bien-aimée ». La forme imposante et dominatrice qu'il lui donne, le bec très haut levé au-dessus d'un ventre ovoïde proéminent, est celle d'une divinité : le paganisme, sinon le polythéisme, n'est pas étranger à cette déification d'un animal. Il le juche sur un groupe de personnages très primitifs, qui soutiennent leur tête de leurs mains et reposent eux-mêmes sur un haut socle quadrangulaire. Selon Natalia Dumitresco et Alexandre Istrati, « Brancusi y voyait le symbole du spirituel ». Quand il en signera la version en bronze en 1912, il la posera sur un socle moins élevé, mais qui évoque déjà les éléments de La Colonne sans fin. Dans des versions ultérieures de Maïastraïa, il éliminera le bec, ce qui annonce la forme en fuseau de L'Oiseau d'or de 1919 et de L'Oiseau dans l'espace de 1921. Il épurera le prodigieux mouvement d'ascension vers le cosmos, de 1925 à 1931, jusqu'à lui imposer la courbure d'un arc bandé vers l'horizon, mais dont la « flèche » serait tirée mentalement vers le zénith. Trouvaille poétique et formelle sans précédent : la tension des lignes de force en est telle que la disparition de la queue et des ailes de l'oiseau favorise l'évocation de sa rapidité fulgurante de pénétration dans l'espace. On peut y reconnaître la notion du « vite » de Duchamp, mais aussi la volonté de suggérer une quatrième dimension spirituelle de la sculpture.

Colonne vertébrale de la relation de l'homme avec l'univers, La Colonne sans fin s'inspire formellement, par ses rhomboïdes superposés, des balustres de sa maison natale : on en voit encore aux balcons des maisons de bois de cette province. Quand il en conçoit, après un premier modèle en 1912, un second exemple en 1918, il vit depuis deux ans dans son atelier de l'impasse Ronsin, et ses sculptures ont commencé à se vendre aux États-Unis, où il a participé à l'Armory Show de 1913. Il imagine La Colonne sans fin comme le premier pilier d'une architecture imaginaire du monde et identifie le cosmos à un toit.

Jusqu'à la fin, Brancusi, qui l'a répété sur le lit où il devait mourir peu après, a considéré La Colonne sans fin comme son œuvre principale. Il n'en a jamais, dans son esprit, limité la hauteur. Elle atteint 30 mètres dans l'ensemble de Tirgu-Jiu, qui est une petite ville, mais son vœu le plus cher, qui n'a pas été réalisé, consistait à en dresser une d'au moins 120 mètres, en acier inoxydable, à Paris : pour découvrir, dans sa lumière, « des mondes de l'autre côté du monde ». Monument à la verticalité, La Colonne sans fin représente le commencement et la fin de L'Oiseau dans l'espace : sa base et son but. Elle dépasse toutes les catégories de sculptures existantes et n'est comparable, dans sa conception, qu'aux Pyramides et aux temples aztèques. La répétition ad infinitum des mêmes éléments négatifs-positifs implique une projection hors de l'espace et du temps, une « éternité retrouvée » où ce n'est pas la mer qui est mêlée au soleil, mais le visible à l'invisible, l'achevé à l'inachevable. Brancusi a dressé une Colonne sans fin dans le jardin de son ami Steichen, à Voulangis, en 1920, il en a conçu une autre en 1925, une troisième en 1928, toujours en bois de chêne. Celle qu'il a moulée en plâtre en 1930 touchait presque, à six mètres de haut, la verrière de son atelier.

En 1935, la Ligue des femmes de Gorj, en Roumanie, lui demande d'ériger un monument[...]

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Pour citer cet article

Alain JOUFFROY. BRANCUSI CONSTANTIN (1876-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Groupe des Tétrarques, Venise - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Groupe des Tétrarques, Venise

Autres références

  • ANDRE CARL (1935-2024)

    • Écrit par Universalis, Béatrice PARENT
    • 770 mots

    Né le 16 septembre 1935 à Quincy (Massachusetts), le sculpteur Carl Andre étudie l’art de 1951 à 1953 à la Phillips Academy d’Andover. Après un bref passage au Kenyon College de Gambier (Ohio), en 1954, il voyage en Angleterre et en France. En 1957, il s’installe à New York, où il rencontre ...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Sculpture

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 2 362 mots
    • 4 médias
    ...été installés dans les jardins de Westminster devant le Parlement dès 1911, à un moment où aucune de ses œuvres ne trouve place dans l'espace parisien. Brancusi, figure centrale dans l'invention de la sculpture contemporaine, même s'il ne réside pas dans la capitale anglaise, y expose aussi : il...
  • CUBISME

    • Écrit par Georges T. NOSZLOPY, Paul-Louis RINUY
    • 8 450 mots
    Laprésence de Constantin Brancusi (1876-1957) dans cette liste nous étonne aujourd'hui, car il existe une réelle différence entre la simplification des volumes caractéristique de son art et la déconstruction analytique de l'espace cubiste. Si Le Baiser (pierre, 1907-1908, Muzeul de Arta,...
  • DESCRIPTION (esthétique)

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 1 138 mots

    L'histoire de l'art ne peut se construire qu'à partir de l'examen attentif de l'apparence, aussi la description est-elle l'un de ses outils d'investigation fondamentaux. Des travaux, comme ceux de Philippe Hamon (La Description littéraire : anthologie de textes...

Voir aussi