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CATHOLICISME La crise postconciliaire

Un symptôme français : le cas Lefebvre

L'affaire Lefebvre est déjà de l'archéologie. Elle a quitté le théâtre des mass media. Enrichis et confortés par le flash estival de 1976 qui les a un moment sortis de l'ombre, les réseaux traditionalistes reprennent leurs activités, dont l'histoire remonte au début de ce siècle. Leur recrutement s'est accru un peu ; leurs capitaux, beaucoup, mais sans que s'en trouve modifiée une structure très solide de choix politiques, de soutiens financiers et de comportements religieux ou dogmatiques. De la séquence de l'été 1976, on retiendra seulement une rencontre entre ces organisations occultes et l'opinion publique. L'« affaire » a valeur symptomatique et, comme tout symptôme, elle est indiscrète : les problèmes importants ne se manifestent pas à l'endroit et sous la forme que les militances (fonctionnaires ou déviantes) leur avaient fixée. Sortie du marais comme une bulle, la surprise Lefebvre est en effet l'indice de lents mouvements de fond. La brusque apparition d'un été marque d'opaques déplacements, sans qu'elle soit pour autant ni leur cause ni leur réalité.

D'abord, l'écho de l'affaire indique un fonctionnement sociopolitique : Mgr Lefebvre correspond, en effet, à l'idée que la grande majorité de la population française se fait de l'Église. Elle y reconnaît ses souvenirs d'enfance : le latin, les clochettes de messe, un appareil doctrinal, des règles strictes, etc. Le religieux est devenu un passé dormant dans les mémoires. Cet imaginaire social « enfantin » (originaire et silencieux, in-fans) semble avoir une stabilité que n'auraient guère affectée les réformismes postconciliaires et la publicité que leur ont faite les médias. Les efforts des clercs et les bruits des journalistes n'auraient touché que superficiellement une résistance (croyante ou non croyante) des sous-sols de la culture : massivement, les mentalités « religieuses », tel un gisant, seraient présentes dans l'espace social, mais étrangères aux contraintes et aux dynamismes du présent.

Mais pourquoi ce retour du passé ? Le recul des idéologies politiques – leur démystification ou leur impuissance – laisse la place à un traditionalisme des croyances et des pratiques. Là où le politique fléchit, le religieux revient. L'alliance de ce revenant catholique et d'un conservatisme politique n'est pas un hasard. La désillusion concernant la possibilité de construire un projet social ramène sur la scène les moines « purs et durs », défenseurs d'un passé, conducteurs prophétiques de sectes conventuelles qui se substituent aux programmes de société, supporters et fournisseurs de croyances là où elles s'effondrent – en attendant ou en même temps que des politiciens « charismatiques » investissent le même rôle. D'autres, tel Charbel Kassis, supérieur général des moines libanais de Kaslik et chef d'une croisade, sont plus efficaces et plus redoutables que Mgr Lefebvre. Une figure religieuse et politique resurgit pourtant avec l'évêque français, chef d'ordre, fondateur de séminaire, leader d'une secte – silhouette derrière laquelle se dessine déjà la combinaison entre un besoin public de croire et un pouvoir personnel. Entre le boulangisme (1886-1891) et La Colline inspirée de Maurice Barrès (1913), il y avait des homologies. L'histoire, cette fois-ci, commencerait-elle par le roman ?

Les aspects ecclésiastiques sont plus évidents. Ils concernent la structure de l'Église, en fait et en droit. En fait, la réforme postconciliaire a été pensée, conduite et souvent imposée par une minorité de clercs, prêtres ou laïcs. Même inspirée par « l'adaptation au monde », une élite militante s'est lentement séparée des « fidèles » qui restaient dans les églises[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Michel de CERTEAU. CATHOLICISME - La crise postconciliaire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ABBÉ PIERRE HENRI GROUÈS dit L' (1912-2007)

    • Écrit par Jean-Claude PETIT
    • 1 094 mots

    L'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, voit le jour à Lyon le 5 août 1912. Il est le cinquième d'une famille de huit enfants qu'il qualifie lui-même de bourgeoise. Cette famille nombreuse lui vaudra d'avoir cent vingt-trois neveux et nièces, tous âges, tous degrés et toutes conditions confondus,...

  • ACTION CATHOLIQUE

    • Écrit par Charles BALADIER
    • 1 474 mots

    Trop multiforme et trop étendue pour constituer une véritable organisation, l'Action catholique est plutôt un ensemble de mouvements obéissant à une sorte d'idée-force ou de loi-cadre qui consiste, dans l'Église contemporaine, à faire participer les laïcs à l'apostolat dont...

  • AMÉRICANISME, catholicisme

    • Écrit par Émile POULAT
    • 375 mots

    Doctrine ou attitude condamnée en 1899 par Léon XIII dans sa lettre Testem benevolentiae. « Hérésie fantôme », diront ceux qui étaient ou se sentaient visés. Opinions nouvelles qui amalgament les vertus américaines avec de vieilles erreurs et font le jeu du protestantisme anglo-saxon, expliqueront...

  • AMÉRIQUE LATINE, économie et société

    • Écrit par Jacques BRASSEUL
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    L'Amérique latine est avant tout un continentcatholique : elle porte près de la moitié des fidèles de l'Église de Rome, un tiers de ses évêques. La population est chrétienne à 90 p. 100, et les protestants, en progression, en représentent 20 p. 100, essentiellement au sein des différentes...
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