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AUTOFICTION

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Le jeu avec le « je »

L'âge d'or du roman n'a pas résisté à l'ère du soupçon, mais aussi au retour du biographique, qui refait la part de l'effectif et celle du fictif.

Serge Doubrovsky - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Serge Doubrovsky

Dans les années 1950, on peut voir dans le Nouveau Roman un refus des pouvoirs dévolus à l'auteur et un retour au principe flaubertien de l'absence nécessaire du romancier à l'intérieur de son œuvre. On retrouve ici Serge Doubrovsky, qui, dans un modèle dérivé de l'autobiographie et non plus du roman, poursuit l'ambition qui était celle d'un Gide ou d'un Montherlant : inscrire sa vie intégrale dans un champ littéraire nouveau, inventer un langage par lequel le moi sera absous et sanctifié, et par lequel un salut, plus que religieux (la littérature transcendant ici la religion), sera atteint. Pour l'inventeur du terme, il y a donc une ambition exorbitante, quant aux pouvoirs de la littérature, et aussi un enracinement productif dans un impérieux narcissisme, dont la cure psychanalytique a libéré les énergies. On ne s'étonnera pas que, en 1977, la publication de Fils n'ait pas entraîné d'enthousiasme particulier ni du côté de l'Université, ni du côté du public lettré, et que la notion d'autofiction n'ai commencé à être prise en considération qu'à partir des années 1980. En fait, le terme d'autofiction désigne une fiction romanesque qui serait autobiographie. Fiction, en ce qu'elle est génériquement sous-titrée comme roman, et de ce fait autorise d'éventuels énoncés fictifs. Autobiographie, en ce que les trois instances de l'auteur, du narrateur et du protagoniste sont réunies sous le même nom propre, celui de l'auteur ou son pseudonyme usuel. Ce nom propre n'est pas seulement un critère de l'autobiographie, il en devient la matière : d'Un amour de soi (1982) à L'Après-vivre (1994), Serge Doubrovsky n'en finit pas d'inscrire dans un écrit flamboyant le syntagme de son prénom et de son patronyme, désignateur irréfutable de sa personne même. L'autofiction n'est alors ni la fiction romanesque ni l'autobiographie, mais le nœud gordien de deux pactes contradictoires, le fictionnel et l'autobiographique, le virtuel et le référentiel. Aussi est-il naturel qu'on y ait vu une aberration théorique, tant la contradiction des démarches était flagrante. Mais la littérature peut transformer une contradiction interne en une énigme féconde.

En mai 2002, le Magazine littéraire consacra un numéro spécial aux « écritures du moi », qu'on aurait pu qualifier d'« autobiographiques » si le terme n'était pas porteur de connotations littérairement négatives. Le sous-titre de ce numéro est symptomatique : De l'autobiographie à l'autofiction. Il aurait été inconcevable en 1992 quand Serge Doubrovsky, Philippe Lejeune et Jacques Lecarme tinrent un colloque intitulé « Autofictions et Cie  ». Aucun écrivain alors n'acceptait pour ses textes ce néologisme, à l'unique exception d'Alain Robbe-Grillet, qui dans sa trilogie (Le miroir qui revient ; Angélique, ou l'Enchantement ; Les Derniers Jours de Corinthe), publiée de 1985 à 1994, hésitait entre « romanesques » et « autofictions ». L'Université, persuadée que tout récit et même toute littérature étaient de pure fiction, jugeait le nouveau terme inutile et redondant. Elle n'aimait pas non plus l'autobiographie, dont l'invasion lui paraissait marquer la décadence de la littérature et du genre qui lui paraît coextensif, le roman.

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Serge Doubrovsky - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Serge Doubrovsky

Du récit autobiographique au roman - crédits : Encyclopædia Universalis France

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