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ANTISPÉCISME

Importation en France

Il en ira tout autrement en France. Bien sûr, les bouleversements et la dynamique de radicalisation développée au sein des mouvements animalistes anglophones dans les années 1970 et 1980 ne pouvaient advenir sans susciter la moindre résonance dans les milieux français de la protection animale. L’exemple des actions entreprises par des groupuscules ou nébuleuses comme le Animal Liberation Front (label militant plutôt qu’organisation à part entière, fondé en 1976 sur les cendres du groupuscule Band of Mercy) contre plusieurs laboratoires britanniques devait ainsi susciter quelques émules. Entre autres, la création du groupe Léautaud spécialisé dans l’enlèvement et la libération de chiens de laboratoires d’expérimentation ou la diffusion vers la fin des années 1970 de pétitions étudiantes contre l’usage des vivisections dans les cours de psychoclinique à l’université de Jussieu apparaissent comme une première importation des méthodes d’action alors développées outre-Manche et outre-Atlantique. De plus, les ouvrages antispécistes de Singer ou de Ryder, alors non traduits, circulaient déjà au sein de groupes comme la Ligue française contre la vivisection (L.F.C.V.). L’adoption, dans la même période, de la notion de spécisme par la Ligue française des droits de l’animal est aussi significative ; créé en 1976, ce collectif d’experts, de scientifiques et d’universitaires entend prendre ses distances avec la tradition de protection animale en développant un « porte-parolat » revendiqué comme plus rationnel, en partie inspiré des doctrines de penseurs comme Albert Schweitzer ou Théodore Monod. Le refus du spécisme et la lutte contre celui-ci sont alors posés comme préalables à l’établissement d’une coexistence harmonieuse entre l’homme et les animaux, coexistence qui ne suppose pas tant la suppression de l’ensemble des formes d’exploitation de l’animal que l’instauration de pratiques et de dispositifs respectueux de sa vie et de sa sensibilité. Ces différentes réappropriations, toujours partielles, témoignent de la diffusion dès la fin des années 1970 vers la France des idées, représentations et modes d’action de l’antispécisme.

Il n’en reste pas moins que la réception des critiques spécistes devait demeurer extrêmement limitée et réduite, et ce pour différentes raisons : faiblesse voire inexistence de traditions radicales de défense des animaux (les ligues antivivisectionnistes disparues en France au début du xxe siècle ne se reconstituent qu’à la fin des années 1950), focalisation presque exclusive des principales organisations sur les animaux de compagnie et la gestion des refuges pour animaux errants, et surtout composition sociale des groupes existants et faible renouvellement générationnel des collectifs militants.

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013 - crédits : Migel/ Shutterstock

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013

C’est dans d’autres espaces sociaux et en fonction d’autres enjeux politiques que les notions de spécisme et d’antispécisme vont finalement être importées et diffusées en France, et avec elles tout un ensemble de biens matériels et symboliques. Ces transferts sont le fait d’un groupe restreint de militants proches des milieux anarchistes, écologistes et « alternatifs lyonnais », tous des intellectuels en marge des institutions dont les ressources – capital culturel important, nombreux contacts internationaux et pratique des langues étrangères – vont leur permettre, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, de s’imposer comme les principaux passeurs des conceptions antispécistes. La fondation, en 1991, notamment par David Olivier, Yves Bonnardel et Françoise Blanchon (figures centrales de ce groupe) desCahiers antispécistes, revue où sont traduits et interviewés intellectuels et principaux leaders du courant animaliste radical, permet de faire valoir contre d’autres militants et collectifs une conception de l’antispécisme proche[...]

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Écrit par

  • : docteur en science politique, chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique

Classification

Pour citer cet article

Fabien CARRIÉ. ANTISPÉCISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Manifestation pour la défense du monde rural à Londres, le 22 septembre 2002 - crédits : Roger Tidman/ CORBIS/ Corbis Documentary/ Getty Images

Manifestation pour la défense du monde rural à Londres, le 22 septembre 2002

Graffiti de l’Armée des douze singes - crédits : Polygram/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Graffiti de l’Armée des douze singes

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013 - crédits : Migel/ Shutterstock

Manifestation contre la corrida à Pampelune, juillet 2013

Autres références

  • SINGER PETER (1946- )

    • Écrit par Universalis
    • 1 482 mots
    ...cause la séparation radicale entre humains et animaux introduite par la philosophie occidentale, d’Aristote à Descartes en passant par Thomas d’Aquin. L’apport le plus important de l’ouvrage sur le plan philosophique réside ainsi dans son analyse pénétrante du concept de « spécisme » (qui ne fut pas inventé...
  • VÉGÉTARISME

    • Écrit par Laurence OSSIPOW
    • 5 162 mots
    ...qui se refusent à toute affirmation d'une différence d'ordre moral entre les espèces du vivant, qui entraînerait nécessairement leur hiérarchisation. Selon l'antispécisme, rien ne justifie que l'animal serve à l'être humain comme aliment, comme pourvoyeur de services ou comme support d'expérimentations....

Voir aussi