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ANAXAGORE (env. 500-428 av. J.-C.)

Une philosophie « systémique » de l'un et du multiple

Dans le jeu entre l'un et le multiple, au cœur de la pensée préaristotélicienne, Anaxagore annonce une philosophie « systémique » qui trouvera son aboutissement chez les stoïciens (systema est un terme technique stoïcien). Aristote range Anaxagore et Empédocle parmi « ceux qui posent l'unité et la multiplicité (henkaipollá) » (Physique I, 4, 187a, 22-23). En effet, le mélange primitif d'Anaxagore ne se confond pas avec l'apeiron d' Anaximandre. L'un et le multiple sont tous les deux originaires et l'on n'a donc pas à se demander comment des êtres déterminés et finis peuvent provenir d'un infini indifférencié ; cette difficulté avait amené Anaximandre à introduire, dans l'apeiron, un principe producteur, gónimon. D'après Anaxagore, chaque chose est en rapport avec toutes les autres choses ; « tout est mêlé dans tout » (Aristote, Physique, 187 b, 1) ; « il y a dans tout une portion (moïra) de tout, le Noûs excepté » (Simplicius, In Physica, 164, 24). Il y a, dans le cosmos et dans chaque chose, parité des parties et de la totalité. La coappartenance des parties n'entraîne pas leur dissolution dans le tout, pas plus que les ensembles ne s'obtiennent, comme ce sera le cas chez Démocrite, par une addition instable d'éléments isolés.

La position d'Anaxagore est originale. L'univers se trouve ordonné par des principes de continuité et de structuration, dont la portée est universelle : « Il y a beaucoup de choses de toute sorte dans tout ce qui est assemblé : les semences de toutes les choses, avec toutes sortes de figures et de couleurs et de goûts » (Simplicius, In Physica, 34, 29). Anaxagore se demande, s'il n'en était pas ainsi, « comment pourrait le cheveu naître de ce qui n'est pas cheveu ou la chair de ce qui n'est pas chair ? » (Grégoire de Nazianze, 36). À elle seule, la continuité institue une solidarité des êtres. Elle se trouve renforcée par l'intervention d'instances organisatrices plus spécifiques, en premier lieu le Noûs, l'intelligence rectrice de l'univers. Le Noûs « a toute connaissance de tout et le pouvoir le plus grand [...]. [Il] est maître de tout [...] qui a vie » (Simplicius, In Physica, 64, 24). Ensuite, chaque semence contient en elle les « opposés » (enantia, Aristote, Physique, 187a, 24) : chaud/froid, rare/dense, sec/humide, etc. Pour la pensée grecque dans son ensemble, les opposés constituent les principes de l'agencement de tous les domaines de l'expérience. Chez Anaxagore, ils témoignent d'une immanence que le Noûs n'a pas ; malgré sa subtile corporéité, celui-ci reste extérieur aux éléments de l'univers. Coextensifs aux semences primordiales, les contraires demeureront au centre de la cosmogonie d'Anaxagore.

Un ordre établi sur la continuité suppose une affinité profonde des êtres (« les phénomènes sont une lueur de l'obscur », dit Sextus – Adv. Math. VII, 140), y compris entre les contraires : « Les choses dans l'ordre unique du monde ne sont pas séparées les unes des autres, ni coupées avec une hache, ni le chaud par rapport au froid, ni le froid par rapport au chaud » (Simplicius, In Physica, 175, 12). Bref, « tout est déjà en nous » (Théophraste, De sensu, 30) ; la continuité se double d'une participation et d'une ressemblance universelles. Et celles-ci se prolongent en une dynamique : « Des choses d'une même espèce tendent à s'unir » (Simplicius, In Physica, 27, 11).

Ces thèses forment un système serré et cohérent. Il convient d'examiner à leur lumière une difficulté classique d'interprétation, la relation entre semences (spermata) et homéoméries, les « parties pareilles » qui sont les composantes[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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Anaxagore - Clazomènes (Asie mineure) - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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