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VAJRAYĀNA

Les moyens et la fin

Toutes ces considérations peuvent aider à comprendre et l'interdépendance des différents moyens et leur fonction par rapport à la fin. Au sujet des pratiques associées à la sphère des émotions, on peut remarquer, tout d'abord, qu'elles ne représentent pas une innovation radicale qu'aurait opérée le tantrisme. En témoigne, par exemple, le commentaire par Vyāsa des Yogasūtra, III, 23, où il est dit : « L'indifférence n'est pas un sentiment, parce que d'elle ne peut procéder la samādhi (extase). » Le tantrisme et le Vajrayāna ne font qu'approfondir l'étude et l'application de cette idée, en prenant en considération une gamme étendue d'émotions, depuis le mouvement de foi intense à l'égard du maître jusqu'aux passions extrêmes de la colère et du désir sexuel. L'ardeur d'une passion a ceci de particulier qu'à l'instar de la concentration elle porte l'individu à sortir, en un certain sens, de lui-même, c'est-à-dire à se détacher, plus ou moins longtemps, de son monde coutumier. Il s'agit donc d'une première expérience, bien que rudimentaire et précaire, de rupture de la convention dualiste. Mais il sera nécessaire, naturellement, que l'émotion ne reste pas ce qu'elle est d'ordinaire, à savoir un événement fortuit et inconscient. Elle devra être cultivée de manière savante. La « voie des émotions » a pour particularité de se fonder nécessairement, si l'on veut qu'elle ait des résultats positifs, sur une purification déjà avancée : « Les sens peuvent être cultivés lorsqu'ils sont rendus inoffensifs par la purification » (Hevajratantra). Cette épuration signifie surcroît de conscience et de lucidité, de telle sorte que l'émotion, dont on a dit qu'elle tend à créer une séparation par rapport aux états psychiques ordinaires, ne risque pas d'entraîner les sens ainsi transformés : ces derniers, au contraire, en s'additionnant tous ensemble dans l'unité d'une conscience lucide, seront en mesure de fixer et de manier la séparation qui s'est instaurée, de manière à lui donner le plus de stabilité possible et ainsi de s'approcher toujours plus de l'état de pureté absolue. L'émotion n'est donc pas suffisante : l'essentiel est plutôt de créer une bipolarité avec l'élément antagoniste représenté par la conscience, de telle sorte que celle-ci pénètre l'émotion, en la guidant, et qu'elle soit pénétrée par l'émotion, s'en trouvant ainsi animée. Il est vain – les textes le déclarent à l'unisson – de recourir au moyen (upāya) si celui-ci n'est pas soutenu par la connaissance (prajñā) et vice versa ; mais l'upāya du Vajrayāna n'est pas un équivalent fixe de la « grande compassion », comme dans le Mahāyāna : il embrasse un vaste éventail de moyens possibles, parmi lesquels la passion (rāga).

Il semble donc que certains principes fondamentaux du Mahāyāna et du tantrisme en viennent à être renforcés par la conception qui a trait à la « voie des sens » ; celle-ci, lorsqu'elle est empruntée de manière heureuse, démontre – expérimentalement, pourrait-on dire – qu'il y a équivalence entre l'expérience mystique et l'expérience sensorielle, c'est-à-dire entre le nirvāṇa et le saṃsāra. Pour la même raison, les cinq Bouddha du maṇdala sont à assimiler non seulement à autant de types de connaissance, mais aussi aux éléments, aux sens et aux passions : on retrouve ici la double polarité comme voie directe conduisant à la réalisation de la réalité unique.

— Corrado PENSA

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Écrit par

  • : professeur à la Scuola orientale de l'université de Rome

Classification

Pour citer cet article

Corrado PENSA. VAJRAYĀNA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme indien

    • Écrit par Jean FILLIOZAT, Pierre-Sylvain FILLIOZAT
    • 10 641 mots
    • 1 média
    Du Hīnayāna et du Mahāyāna se détache encore une nouvelle voie, celle du Mantrayāna (« voie des formules liturgiques ») ou Vajrayāna (« voie du foudre/diamant »), le vajra étant un objet rituel symbolisant la notion de vacuité absolue qui comme le foudre détruit toute impermanence et...
  • BOUDDHISME (Les grandes traditions) - Bouddhisme tibétain

    • Écrit par Anne-Marie BLONDEAU
    • 5 604 mots
    • 5 médias
    ...exclure de la tradition indienne : le Hīnayāna est destiné aux êtres de capacités moyennes, le Mahāyāna aux êtres de capacités élevées, le Tantrayāna (ou Vajrayāna) aux êtres de capacités supérieures. En fait, au niveau de la doctrine, les divergences ne correspondent pas à des oppositions dogmatiques entre...
  • HĪNAYĀNA ou PETIT VÉHICULE

    • Écrit par Dominique TROTIGNON
    • 1 472 mots
    En contexte indien, puis surtout tibétain, le développement du tantrisme bouddhique(Vajrayāna) infléchira encore la signification du terme, avec l'introduction d'un nouveau « Véhicule », celui des tantra (tantrayāna ou vajrayāna). Ces nouveaux textes présentent des pratiques...
  • NĀLANDĀ

    • Écrit par Rita RÉGNIER
    • 1 817 mots
    ...Progression ») et plus particulièrement des doctrines du Vijñānavāda (« où il est question de la pensée »), du Yogācāra (« de la pratique du yoga ») et du Vajrayāna, « Moyen de Progression par le foudre » (ou « diamant », figurant à la fois la puissance suprême de la connaissance et la vérité absolue)....

Voir aussi