Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SABA UMBERTO (1883-1957)

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Le « Canzoniere »

On ne s'étonnera guère que, avant même la découverte de la psychanalyse, les poésies et les proses de Saba soient essentiellement autobiographiques. Il commence très tôt à écrire et ne cessera plus jusqu'à sa mort (dernières poésies, 1954 ; dernières proses, 1957). Un premier bilan de son activité poétique est le Canzoniere (recueil de chants) de 1921, qui regroupe la production antérieure : « Poésies de l'adolescence » (1900-1903), « Voix des lieux et des choses » (1904-1905), « Poésies florentines » (1905-1907), « Vers militaires » (1907-1908), « Maison et campagne » (1909-1910), « Trieste et une femme » (1910-1912), « La Sereine Désespérance » (1912-1914), « Poésies écrites pendant la guerre », « Choses légères et vagabondes » (1920), « L'Amoureuse Épine » (1920). Ce recueil est publié par la Librairie ancienne et moderne (librairie de livres rares) que dirige Saba jusqu'à sa mort, aidé bientôt par Carlo Cerne, le fameux Carletto des poésies. Cette œuvre ne suscite aucun intérêt, pas plus chez les critiques que chez les lecteurs. Il faudra attendre 1928 (si l'on excepte une étude fondamentale du meilleur exégète de Saba, Giacomo Debenedetti, publiée en 1924 dans Primo Tempo) et la publication d'un numéro spécial de la revue Solaria pour voir l'attention se porter sur ce poète de quarante-cinq ans qui semble déjà un vieillard.

Dès les premières poésies de l'adolescence, l'intérêt de Saba se porte sur les choses et les êtres qu'il observe, entend, hume par les antennes du cœur. Il chante une chapelle, un bourg, un bord de mer et se profile déjà le paysage idéal du poète : Trieste, ses activités commerciales, les collines qui grimpent vers le Kartz. Plus encore, c'est le paysage moral qui se dessine : une sensibilité un peu morbide qui se repaît de soi-même et s'isole volontiers du vacarme du monde. En même temps apparaît l'appel de l'amour lié à un premier nom de femme, celui de Lina, sa future épouse : amour dont il sent la fragilité, car l'ombre de la mort, la hantise de la vieillesse habitent déjà le tout jeune poète. De 1900 à 1921 l'évolution stylistique de Saba est symptomatique : son classicisme déclaré (formes fixes de la tradition, sentiments nets, descriptions précises) augmente en fermeté et en netteté ; le vague et le flou romantique qui nimbaient encore certains des premiers essais poétiques disparaissent avec l'expérience du service militaire, accompli à Salerne en 1908 : promiscuité avec des gens simples, fatigue des longues marches, joie des dons les plus insignifiants, un verre d'eau, un repas dans un restaurant de troupiers... Cette plongée dans la matière pour fixer le contour des choses s'accompagne de l'apparition d'un bestiaire métaphorique caractéristique : les images sont celles de troupeau (de mulets, de brebis, de fauves), ce qui conduira tout naturellement Saba à chanter sa propre femme au gré des litanies animales : « ...et ainsi dans l'abeille / je te retrouve ; et dans toutes / les femelles de tous / les animaux sereins » (À ma femme). Ce premier état du Canzoniere enregistre toutes les étapes du roman familial de Saba : la crise qui affecte son ménage, la venue de Linuccia, sa fille, l'amour pour Paolina, etc. La reprise constante des mêmes thèmes s'accompagne d'un travail d'excavation, de plus en plus difficile, à l'intérieur des complexités du cœur humain, que l'angoisse du poète charge de tragique, mais que la touche toujours plus affinée du styliste allège de grâce. Le symbole en est l'oxymoron d'un titre : Sereine désespérance.

La création poétique de Saba continue jusqu'à la libération de 1945, entrecoupée d'épisodes tragiques comme la fuite de Trieste à cause des lois[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur, directeur du département d'italien à l'université de Strasbourg-II

Classification

Pour citer cet article

Philippe RENARD. SABA UMBERTO (1883-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par , , et
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...parfois allégorique, avec la réalité, en renonçant à communiquer un message explicite de manière directe. Contrairement à Montale et, surtout, à Ungaretti, Umberto Saba refuse l’approche analogique et allusive caractéristique de l’hermétisme. Dans son Canzoniere(1921, puis 1945, 1961 et 1965), il développe...