Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

SMOLLETT TOBIAS GEORGE (1721-1771)

Une œuvre haute en couleur

L'œuvre de Smollett comporte des poèmes où sa verve satirique se donne libre cours, avec de temps à autre une pointe d'émotion ; des pièces de théâtre dans le style néoclassique dont il faut retenir les joyeusetés et le gros sel marin du Reprisal or Tars of Old England (1757) ; de médiocres traductions de Gil Blas et de Don Quichotte ; une poussière d'articles dispersés dans diverses revues ; des compilations historiques, telle cette Complete History of England écrite d'une plume alerte, mais avec du matériel de troisième main ; une allégorie politique assaisonnée d'épices orientales, History and Adventures of an Atom (1769), où le Japon sert de paravent satirique à l'Angleterre ; les Travels Through France and Italy (1766), qui témoignent du plaisir morbide qu'il prenait à se boucher le nez et à se voiler les yeux sur les chemins du Continent.

C'est à ses romans toutefois que Smollett doit sa survie littéraire. Sur les cinq titres qu'il a légués, deux ne méritent qu'un coup d'œil. The Adventures of Sir Launcelot Greaves (1762) exécutent une nouvelle variation sur le thème de don Quichotte en Angleterre : mais tous les moulins à vent de la campagne anglaise avaient déjà été pourfendus par le pasteur Adams. The Adventures of Ferdinand Count Fathom (1758) campent une canaille assez peu convaincante ; Ferdinand, né des amours d'une cantinière et d'un homme de troupe, après avoir usurpé un titre de noblesse, abuse de la confiance des gens qui le recueillent et, de viol en rapine, d'imposture en trahison, descend la pente de l'infamie jusqu'au moment où il est démasqué. Alors le romancier lui pardonne parce qu'il a beaucoup péché.

Roderick Random et Peregrine Pickle sont d'une autre facture. Tous deux conduisent leur héros du berceau au lit matrimonial : ce qui s'appelle faire une fin. Le fil du récit, entrecoupé d'apartés, de digressions, de transgressions, se dévide entre les doigts d'une divinité capricieuse qui le tend ou le détend, l'embrouille et le débrouille à loisir. La formule reste celle du nomade à la recherche d'un havre, d'une place au soleil. Car les pérégrinations, les duels, les fuites et les poursuites, les naufrages et les arraisonnements, les hôtelleries où l'on descend sans savoir si le taulier va vous égorger ou sa fille vous caresser dans votre lit tendent vers un seul but : l'intégration du vagabond dans la géographie sociale. Il croit trouver quelquefois un refuge ; il pénètre dans un milieu familial ou professionnel où il est d'abord accueilli avec bienveillance, parfois même choyé, accablé de flatteries. Il s'installe, s'enkyste. Mais au bout d'un temps la présence d'une particule étrangère crée une irritation dans la cellule, qui sécrète des anticorps et finit par l'expulser. Tout cela dans un cadre concret qui nous renseigne sur les vêtements, la nourriture, la vie sur les navires de guerre ou dans les bas-fonds de Londres, la routine au sein d'une famille bourgeoise en plein xviiie siècle. Officiers, médecins, mendiants, chambrières, brigands de grand chemin, dames de petite vertu, chasseurs à courre, ingénieurs, bas bleus ou duègnes : toute une faune épaisse et grotesque s'oppose à la progression du héros.

Si Roderick ressemble comme un frère à Smollett, le profil moral de Peregrine est plus douteux. Mais la figure de ce personnage est toutefois éclipsée par celle du commodore Hawser Trunnion (Trognon du Hauban), ancien officier de la Royale qui, avec le lieutenant Hatchway (Écoutille) et le maître d'équipage Tom Pipes (Sifflet), gouverne sa maison comme un navire à l'ancre, tire des bordées à cheval et navigue dans les champs à la boussole.

Le chef-d'œuvre de Smollett s'intitule Humphrey[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Alexandre MAUROCORDATO. SMOLLETT TOBIAS GEORGE (1721-1771) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...fait penser à la rhétorique sentimentale des scènes domestiques de Greuze. Fielding s'inspirait de Cervantès et des tableaux de William Hogarth. Tobias Smollett (1721-1771) se situe encore davantage dans la tradition picaresque, mais ce sont surtout Laurence Sterne et Jane Austen qui représentèrent les...

Voir aussi