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GASTRAEA THÉORIE DE LA

La recherche des causes mécaniques du développement

Cette approche fait rapidement l’objet de vives critiques de la part d’auteurs qui, précisément, lui reprochent son manque d’intérêt pour les causes prochaines, immédiates, du développement. Dès 1874, l’année même de la parution de l’article de Haeckel sur la Gastraea, Wilhelm His, professeur à l’université de Leipzig, publie un ouvrage polémique, rédigé sous forme épistolaire, UnsereKörperformunddasphysiologischeProblemihrerEntstehung (« La forme de notre corps et le problème physiologique de son apparition »). Il y plaide en faveur d’une nouvelle méthode en embryologie, qui ne se préoccuperait plus de reconstituer des causes phylogénétiques de l’ontogenèse ; mais se concentrerait plutôt sur les causes matérielles directes qui sont responsables de l’édification de l’organisme.

Une partie de l’ouvrage est consacrée à une violente attaque contre la « loi biogénétique fondamentale » de Haeckel. Non seulement il en conteste la validité, en montrant que de nombreux faits embryologiques sont en contradiction avec elle (Haeckel ayant forcé la ressemblance entre des embryons d’espèces différentes) mais, plus généralement, il en rejette les fondements épistémologiques. En effet, il est selon lui absurde de chercher une explication du développement d’organismes actuels dans des formes ancestrales, lointaines et inaccessibles. Tout au plus, l’histoire évolutive peut-elle rendre compte de manière très indirecte de certains traits embryologiques, mais les causes principales du développement doivent être recherchées dans les phénomènes matériels qui se produisent dans l’œuf fécondé, puis dans l’embryon, et qui déterminent directement les transformations successives de ce dernier. Seules de telles causes, en outre, peuvent se prêter à des investigations expérimentales en laboratoire.

Wilhelm His est conscient que les connaissances de son époque sont extrêmement lacunaires, mais il se risque à quelques suppositions. En particulier, il observe des similitudes frappantes entre les transformations morphologiques du système nerveux des vertébrés lors du développement et les déformations subies par un tube de caoutchouc plié de différentes manières. Cette approche audacieuse suggère que des causes mécaniques en définitive très simples pourraient expliquer la morphogenèse des organismes. Mais elle ne connaît pas un grand succès dans l’immédiat. C’est surtout grâce aux travaux de D’Arcy Thompson (1860-1948), quarante ans plus tard, que cette voie sera poursuivie.

En revanche, la critique générale de Wilhelm His à l’égard de Haeckel trouve rapidement des échos, et, après 1874, un nombre croissant d’embryologistes abandonnent la méthode phylogénétique pour se tourner vers des études expérimentales du développement. C’est notamment le cas de l’Allemand Wilhelm Roux (1850-1924) qui introduit, dans les années 1880, la notion d’Entwicklungsmechanik (« mécanique du développement »).

Pour autant, l’approche haeckelienne ne disparaît pas et continue à donner lieu à de très nombreux travaux au cours des décennies suivantes. Et, si la loi de la récapitulation, dès le début du xxe siècle, cède la place à des conceptions nettement plus nuancées sur les rapports entre développement et évolution, la théorie de la Gastraea elle-même, en dépit des attaques de Wilhelm His et au prix de diverses transformations, n’a jamais été totalement abandonnée. On en retrouve encore des éléments dans les conceptions du début du xxie siècle sur l’origine des métazoaires : bien que cette question soit très controversée, certains auteurs jugent plausible un scénario évolutif proche de celui imaginé par Ernst Haeckel.

— Stéphane SCHMITT

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Pour citer cet article

Stéphane SCHMITT. GASTRAEA THÉORIE DE LA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 19/01/2024

Média

Théorie de la Gastraea - crédits : Harvard University, Museum of Comparative Zoology, Ernst Mayr Library/ courtesy of Biodiversity Heritage Library

Théorie de la Gastraea

Autres références

  • HAECKEL ERNST HEINRICH (1834-1919)

    • Écrit par
    • 1 751 mots
    • 2 médias
    ...biogénétique fondamentale, il postule donc l’existence d’un lointain ancêtre commun à tous ces animaux, équivalant à cette gastrula, et qu’il appelle par analogie la « Gastraea ». Cette théorie de la Gastraea, que Haeckel expose de manière détaillée et approfondie dans un article de 1874, va constituer...