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SORDEL ou SORDELLO (1200 env.-? 1269)

Le plus grand troubadour italien en langue provençale, Sordel mena une vie qui reste sur bien des points un mystère. Sa « vida » officielle raconte qu'il était originaire de Mantoue, fils d'un chevalier pauvre nommé El Corte, et qu'il vivait à la cour du comte San Bonifaci : il tomba éperdument amoureux de la femme de ce dernier, Cunizza, et prit la fuite avec elle. Autour de Sordel naquit un mythe que l'on retrouvera jusque dans la poésie occidentale des xixe et xxe siècles. On sait, de source sûre, qu'il quitta l'Italie à la fin de l'année 1228 afin de se rendre en Provence, où il demeura la plus grande partie de sa vie sous la protection de Raimon Béranger et de Charles d'Anjou. Après ces trente années passées en Provence, il regagna l'Italie en 1265. Le dernier document nous révélant certains aspects de sa vie appartenait à Charles d'Anjou et date de 1269. Sordel nous a laissé une quarantaine de poèmes, dont le plus célèbre s'intitule : Planh sur la mort de Blacatz. Le « planh » (latin : planqere) est une complainte funèbre, forme littéraire très répandue chez les troubadours. Dans ce poème, il s'agit de lamentations sur la mort de Blacatz, un seigneur d'Aups (Var), qui protégea de nombreux troubadours et fut lui-même l'auteur de plusieurs poèmes. Sordel dirigea sa verve acerbe contre les grands seigneurs de son temps : L'Emperaire de Roma (Frédéric II), Reis Frances (Louis IX), Reis Engles (Jean sans Terre), Reis Castelas (Ferdinand III), Reis d'Aragon (Jacques Ier), Rei Navarre (le poète Thibaud de Champagne) et Coms Proensals (Raimon Béranger IV). Cette dimension politique de la critique fascina Ezra Pound qui, lui-même, dans son œuvre, s'est attaqué à ce qu'il croyait être la corruption politique : dans les Cantos, Sordel apparaît comme une figure emblématique. Pound considérait en effet l'auteur du poème didactique L'Ensenhamen d'onor comme un pont entre ce qu'il nomme le « Paideuma » (l'enseignement) de Virgile et Dante. Déjà, dans le sixième chant du Purgatoire, les trois poètes se rencontrent ; au moment où Virgile s'exclame : « Mantoue » — le premier mot de son épitaphe, Mantua in genuit —, les deux poètes de Mantoue s'embrassent et se lamentent sur le sort de l'Italie de Dante : Ahi servia Italia, di dolore ostello (« Ah serve Italie, auberge de douleur »). Pound, à l'instar de Dante, qui fit l'éloge de Sordel dans son Traité sur l'éloquence vulgaire, éprouva une grande admiration pour ce troubadour exilé, comme il l'était lui-même, et ennemi de la corruption de son temps. Il ne fut d'ailleurs pas le seul à compter parmi les admirateurs de Sordel : un siècle auparavant, Robert Browning contribua, lui aussi, à la création du mythe dans son œuvre célèbre intitulée Sordello ; une œuvre à laquelle Pound se réfère dans les Cantos pour illustrer la complexité du masque littéraire : Enfin quoi, Robert Browning, / Il n'y a qu'un « Sordello » / Mais Sordel et mon Sordel / Lo Sordello si fo de Mantova.

— Joël SHAPIRO

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Écrit par

  • : chargé de cours à l'université de Paris-III (littérature comparée)

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Pour citer cet article

Joël SHAPIRO. SORDEL ou SORDELLO (1200 env.-? 1269) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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