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SOCIOLOGIE WEBERIENNE

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Croyance et incorporation

L'idée que la monopolisation des privilèges sociaux par une minorité puisse déboucher sur une dialectique révolutionnaire inspirait à Weber un complet scepticisme : « Ce qui appelle manifestement une explication », écrivait-il dans Hindouisme et bouddhisme, ce n'est pas le fait que des groupes « négativement privilégiés » se révoltent, mais « plutôt le fait que de telles révoltes n'aient pas été beaucoup plus fréquentes ». Loin de postuler une nécessité historique des révolutions, Weber s'interrogea bien plutôt sur les puissants facteurs qui en empêchaient l'émergence et l'aboutissement. À elle seule, la contrainte économique ne suffit pas à rendre compte de l'adhésion des dominés à un ordre qui ne leur profite pas ; le travail toujours recommencé de légitimation de leur position par les dominants (ce que Weber appelle la « théodicée de leurs privilèges ») trouve justement sa raison d'être dans le constat que l'imposition de la violence physique et de la violence économique doivent se conjuguer, pour être efficaces, avec l'imposition d'une croyance dans le prestige de ceux qui font partie du Stand dominant (ou du pôle dominant d'un Stand, le même phénomène se reproduisant selon des différenciations infinies).

La question de savoir comment se construit une telle croyance, aussi bien du côté des dominés que de celui des dominants, est au cœur de l'intérêt passionné de Weber pour la sociologie des religions, domaine dans lequel il jeta les bases d'un immense chantier d'histoire sociale comparative des « grandes » religions des différentes civilisations (celui-ci demeura inachevé, mais ses travaux sur le protestantisme, le confucianisme et le taoïsme, l'hindouisme et le bouddhisme, ainsi que sur le judaïsme antique, représentent malgré tout la part la plus considérable de son œuvre ; il souhaitait les compléter par des études sur l'islam et le christianisme primitif).

La sociologie des religions de Max Weber porte la marque de la tension évoquée plus haut entre un extrême raffinement érudit (les spécialistes des religions concernées jugent, aujourd'hui encore, frappante la pertinence de ses synthèses) et une part de « matérialisme primitif » qui lui fit désigner les religions comme des instruments de « domestication des masses ». Rien ne fut cependant plus étranger à Weber que l'esprit « laïc », sinon anticlérical, qui inspira en France la sociologie religieuse de l'école durkheimienne. Bien loin de percevoir les religions comme des ensembles de « superstitions » et de les associer à un quelconque stade « primitif » voué à être dépassé par la raison scientifique, il les regarda au contraire – rompant en cela avec les schémas hérités des « Lumières » – comme un des creusets historiques majeurs de la constitution d'outils rationnels. C'est là une des grandes originalités de son approche des religions, dont la lecture est précieuse pour qui souhaite délivrer son regard sur celles-ci de l'alternative entre la perspective du « croyant » et celle des préjugés négatifs. Weber souligne que, dans bien des cas, les compétences savantes et intellectuelles furent longtemps confondues avec les compétences religieuses, et que le travail de « domestication » assuré par les religions supposa des échafaudages logiques à la fois très subtils (les théologies et les constructions métaphysiques des lettrés religieux, orthodoxes ou hétérodoxes) et suffisamment puissants pour se prêter à une traduction dans des versions profanes et à une concrétisation dans des rites, des usages et des interdits religieux et sociaux intégrés y compris par ceux qui n'avaient pas le loisir de s'intéresser aux doctrines des lettrés. Le modèle d'une incorporation de ces représentations, qui forgent les gestes, les corps, les manières d'être et les « conduites de vie » ( ou, pour reprendre[...]

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Isabelle KALINOWSKI. SOCIOLOGIE WEBERIENNE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009