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SHIMAZAKI TŌSON (1872-1943)

Quand, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les éditions Chikumashobō publièrent une collection de textes qui fit date dans l'histoire de la littérature japonaise contemporaine, le premier volume fut consacré à Shimazaki Tōson.

Ce choix ne laisse pas d'étonner. Le « naturalisme », dont cet écrivain s'était fait le porte-parole, est passé de mode depuis longtemps. Ses romans, d'où l'imagination semble bannie, sont d'un abord austère. Mais sa création n'a pas vieilli, et, à mesure que passent les années, l'œuvre entière se découvre au regard comme un immense massif montagneux recouvert par la forêt.

Années de rébellion

Shimazaki Tōson s'établit à Tōkyō en avril 1905, et c'était une décision folle. Il quittait une petite ville de la province de Shinshū où il avait enseigné pendant six ans. Il voulait risquer le tout pour le tout. Il avait produit des poèmes, quelques récits, et, un an auparavant, avait entrepris « une œuvre un peu plus longue » : Hakai. Il fit publier ce roman à ses frais en mars 1906. En mai 1905 mourut sa troisième fille, la maladie emporta les deux aînées durant le printemps de 1906 : signes de l'adversité, et plus encore du dénuement.

Hakai (La Rupture de l'interdit) abordait de front un sujet qu'on avait jusqu'alors esquivé. La « question des eta  », ces « hommes impurs » rejetés en dehors de la société, était officiellement réglée puisque, dès 1871, ils avaient été rangés parmi les citoyens ; mais la discrimination demeurait entière. Au terme du récit, le personnage principal de Hakai, un instituteur de cette province de montagne familière au romancier, se résout à révéler son origine – « Je suis un eta » – avant de s'exiler.

En dépit de son audace, le livre dut son succès moins au sujet qu'à la nouveauté du ton. La vie d'une région lointaine, les travaux quotidiens, les relations sociales apparaissent dans leur âpreté. L'œil épie une nature menaçante, tous les sens participent à cette saisie de la réalité charnelle. Le romancier excelle à montrer non pas un héros, mais un groupe d'hommes, leur diversité et leur solidarité. Véhément, tendu, le récit obéit à un mouvement unique : il faut briser le cercle de l'habitude et de la peur, révéler le vrai. Seule la parole libère.

Tōson était né au début de l'ère Meiji. Depuis des générations, sa famille habitait le village de Magome, à l'entrée de la vallée de Kiso. Des maisons trapues se succédaient le long de la « route de l'intérieur », l'une des principales voies de communication de jadis, et cette contrée sauvage ne fut pas à l'abri des bouleversements. L'adolescent fut aussitôt happé par le tourbillon de l'époque. Il part pour Tōkyō à l'âge de neuf ans, passe d'école en école, cherche, se rebelle. L'anglais lui donne accès à la poésie anglo-saxonne et aux autres littératures occidentales. Il reçoit le baptême, puis s'éloigne du christianisme. Il est du petit groupe réuni autour de Kitamura Tōkoku, qui fonde en 1893 la revue Bungaku.kai (Domaine des lettres). Tōkoku se suicide en 1894. Tōson lui-même mène une vie instable.

Quatre recueils de poèmes jalonnent ces années d'errance : en 1897, Wakana-shū (Premières Pousses) ; en 1898, Hitohabune (Une feuille fend l'eau) et Natsugusa (L'Herbe de l'été) ; en 1901, Rakubai-shū (À terre sont tombées les fleurs des pruniers). Il conserve la langue classique, mais chacun de ces chants est une brèche de liberté. Il leur insuffle une plénitude toute sensuelle ; il choisit ses mots et ses rythmes avec une sûreté qui confond. Après 1901, il abandonne l'expression poétique et, dans la haute vallée de Komoro où il demeura six ans, il multiplie les exercices de description en[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales de l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Jean-Jacques ORIGAS. SHIMAZAKI TŌSON (1872-1943) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • JAPON (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Jean-Jacques ORIGAS, Cécile SAKAI, René SIEFFERT
    • 20 234 mots
    • 2 médias
    ...tenta de confondre sa vie et l'expérience romanesque : ce furent Tandeki (1909, L'Enlisement), puis Hōrō(1910, L'Errance). Au même moment, Shimazaki Tōson composait Haru (1908, Le Printemps), Ie(1919-1911, La Famille). Tokuda Shūsei (1871-1943) écrivait Kabi (1911, Moisissures), Tadare...

Voir aussi