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KIPLING RUDYARD (1865-1936)

Le drame de Kipling

Il y a pourtant un drame de Kipling, mais il est d'un autre ordre. Journaliste plus que romancier, mettant, comme il disait, « l'histoire avant sa signification » (the story before the point), Kipling est un admirable témoin, pénétrant, curieux, sensible, réceptif, mais il a la rigidité morale du vrai témoin. Ayant passé son enfance loin des siens, il leur a voué une fidélité d'autant plus totale dès son adolescence. Les siens, c'étaient les Anglo-Indiens qui ont été à l'Angleterre victorienne finissante un peu ce que les « pieds-noirs » ont été à la France du xxe siècle. C'est pourquoi Kipling a des accents qui parfois rappellent Camus.

Rudyard Kipling - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Rudyard Kipling

Or, au tournant du siècle, ce petit monde cède devant la poussée d'un impérialisme âpre au gain et aveugle dans ses ambitions. L'honnêteté fondamentale de Kipling l'empêche de fermer les yeux sur ce changement, mais elle l'empêche aussi de se désolidariser. Il se tait donc. Cet homme qui jusqu'à la quarantaine fut le plus infatigable des touche-à-tout plante soudain sa tente. Il est tout jeune encore quand il obtient le prix Nobel de littérature en 1907 ; il est inchangé quand il meurt à Londres, trente ans plus tard, personnage fixé une fois pour toutes dans une légende, mais qui accepte cette légende comme son fardeau personnel.

Quelque temps avant sa mort, il fit à la Royal Society un discours où il expliquait qu'un écrivain n'a sur l'avenir de ses œuvres aucun droit de regard, aucune puissance paternelle : « Le mieux qu'un écrivain puisse espérer, c'est qu'il survive de son œuvre une part assez bonne pour qu'on y puise plus tard pour soutenir ou embellir la réaffirmation de quelque antique vérité ou la résurrection de quelque vieille joie. » Il n'est pas d'enfant au monde qui, pour l'amour de Mowgli, de Kim ou de l'Enfant d'éléphant, ne lui donnerait raison.

— Robert ESCARPIT

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Bordeaux-III, directeur de laboratoire associé des sciences de l'information et de la communication

Classification

Pour citer cet article

Robert ESCARPIT. KIPLING RUDYARD (1865-1936) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Rudyard Kipling - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Rudyard Kipling

Autres références

  • KIM, Rudyard Kipling - Fiche de lecture

    • Écrit par Sylvère MONOD
    • 1 137 mots
    • 1 média

    Kim (1901) est de loin le meilleur des trois romans de Rudyard Kipling (1865-1939), maître incontesté du conte et de la nouvelle. Le livre fut rédigé en 1899-1900, à l'époque de la guerre des Boers. Présenter alors l'image d'une Inde heureuse sous une administration britannique protectrice, c'était...

  • LE LIVRE DE LA JUNGLE, Rudyard Kipling - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 726 mots
    • 1 média

    Rudyard Kipling (1865-1936) publie en 1894 Le Livre de la jungle (The Jungle Book), et l'année suivante, en 1895, Le Second Livre de la jungle (The Second Jungle Book), considérés comme le chef-d'œuvre de l'auteur qui exalte la supériorité de l'homme sur la nature.

  • ROMAN D'AVENTURES

    • Écrit par Sylvain VENAYRE
    • 3 878 mots
    • 9 médias
    ...détruit le caractère aventureux des voyages aériens. Il faut en dire autant de la figure de l’aventurier-roi, dont le modèle littéraire fut fixé en 1888 par Kipling dans L’homme qui voulut être roi. Dès le début de son roman, Kipling précise qu’une telle aventure est vouée à disparaître, dans la mesure où...

Voir aussi