ROCHES (Formation) Érosion et sédimentation
L'histoire des continents résulte d'une évolution où interfèrent des forces internes nées de déséquilibres crustaux et des forces externes qui détruisent les constructions orogéniques édifiées par les premières. Tous les reliefs ne sont que des états transitoires de cette évolution. Actuellement, le globe constitue un système clos, pour l'essentiel, et la conservation de la matière implique que la destruction des continents par l' érosion soit compensée par une sédimentation corrélative.
En fait, l'existence de ce couple érosion-sédimentation a été mise en évidence depuis fort longtemps. L'idée de cette relation se trouve déjà clairement exprimée, pour la première fois, semble-t-il, dès la fin du xviiie siècle dans les travaux du géologue écossais James Hutton. Au tout début du siècle suivant, John Playfair, explicitant et diffusant la pensée huttonienne, la reprend dans le cadre de son « cycle géologique » et de sa conception de l'histoire terrestre fondée sur une succession de « mondes ». Selon le géographe Henri Baulig, l'idée même d'un rajeunissement périodique de la Terre apparaît dès l'Antiquité. Mais elle reste le fruit d'une pure réflexion, alors que le système huttonien représente l'interprétation d'un grand nombre d'observations contrôlables.
Phases de l'érosion et sédimentation
La destruction par divers agents des portions de la croûte terrestre exposées à leur action fournit des matériaux meubles. Après modifications et transport, ils s'accumulent et constituent les dépôts sédimentaires.
En français, le terme érosion groupe l'ensemble des processus qui conduisent à une usure de la surface terrestre et au façonnement des formes de relief sous l'action des agents météoriques (météorisation) et de transport (morphogenèse). En revanche, les auteurs de langue anglaise séparent la désagrégation et l'altération des roches en place (processus physico-chimiques ou climatiques) de l'élimination des produits résultants par les agents vecteurs (eau, vent, etc.).
Altération des roches mères
La météorisation des roches représente la première phase de l'érosion, où l'eau joue un rôle essentiel. Elle met en œuvre des processus de natures différentes, mécaniques (fragmentation, désagrégation), chimiques (altération) et biochimiques (pédogenèse). Dans le cas des roches compactes, leur intervention est un préalable indispensable à celle des agents de transport, qui ne peuvent exercer leur activité qu'aux dépens des produits de leur ameublissement.
Les continents ont une surface voisine de 149 millions de kilomètres carrés, dont 75 p. 100 environ sont occupés par des roches sédimentaires, bien que celles-ci ne représentent qu'à peu près 5 p. 100 du volume de la croûte terrestre. Les roches nues, inaltérées, n'affleurent que dans des régions où les possibilités d'évacuation par les agents de transport dépassent la quantité de matériel fournie par la seule météorisation. De tels affleurements sont confinés aux étages élevés des chaînes de montagnes et à certaines parties des domaines aride et semi-aride, ainsi qu'à certaines marges littorales. Dans ce cas, et en dehors des possibilités d'altération, c'est la cohésion des roches qui intervient : seuls les sables ou les cendres peuvent être directement mobilisés. La fragmentation des roches cohérentes demande l'intervention de processus physiques où l'eau joue toujours un rôle prédominant : cryoclastie, thermoclastie, alternances sécheresse-humidité. Intervient alors aussi la conformation même des reliefs, l'accroissement des pentes facilitant le jeu de la gravité, qui utilise les discontinuités internes (failles, diaclases) des massifs rocheux.
Dans tous les autres domaines, l' ablation s'attaque au résultat de l'altération et de la pédogenèse des roches en place. Les modalités en sont très complexes, car on y retrouve les interférences constantes entre les caractéristiques propres du matériel et les modes d'action des divers agents. C'est ainsi que des roches de composition voisine peuvent réagir très différemment. La texture et la granulométrie commandent, par exemple, la pénétration de l'eau, et le même matériel volcanique est beaucoup plus rapidement altéré sous forme de cendres que sous forme de lave consolidée. La division naturelle des cendres permet d'ailleurs l'action immédiate des facteurs de transport mécanique. Deux granites de même composition globale peuvent se comporter de façons très diverses : la répartition des éléments noirs (micas, amphiboles), la texture règlent l'altération. Un léger métamorphisme de type alpin suffit à « immuniser » les plagioclases.
L'altération est une somme de réactions qui tendent à une plus grande stabilité du binôme eau-produits d'altération. Les eaux météoriques, peu chargées en ions, ont tendance à dissoudre les minéraux. En se chargeant de matières dissoutes, elles deviennent moins agressives et l'altération diminue. Il s'établit ainsi des chaînes dont les instabilités se compensent plus ou moins, et où le pH et le potentiel d'oxydoréduction jouent un grand rôle. Aux processus de dégradation succèdent des synthèses de minéraux plus stables, mais l'évolution est lente car les températures sont faibles. Des séquences minérales nouvelles soulignent ces transformations et leur agencement spatial, vertical et horizontal témoigne de la plus ou moins grande vigueur de l'altération. L'influence de la matière organique mérite d'être signalée : elle permet une meilleure rétention des eaux et donne des éléments actifs (acides humiques, etc.). Mais si la quantité de débris organiques fournie par la couverture végétale augmente avec la chaleur et l'humidité, sa conservation dans les sols diminue exponentiellement quand la température s'accroît.
L'ablation du matériel issu de l'altération est très sensible à la nature de celui-ci : l'évacuation rapide des solutions sera fonction de l'importance de la percolation ; la fragmentation facilitera le transport mécanique. Un granite qui libère peu de matières dissoutes peut donner une quantité considérable d'arènes ; une roche basique fournit beaucoup de matières dissoutes mais son altération conduit souvent à la genèse de carapaces qui bloquent les possibilités de l'érosion mécanique. On rencontre d'autres types de carapaces (croûtes calcaires ou gypseuses) dans les domaines aride et semi-aride : elles signalent la réalisation d'équilibres nombreux qui freinent l'ablation des versants.
Cette rapide analyse des modalités de la météorisation des roches mères suffit à montrer que les sédiments ne seront bien souvent que de pâles reflets des roches dont ils dérivent. La part d'héritage est souvent bien faible, comparée à l'apport de la genèse de minéraux nouveaux et aux perturbations introduites par le facteur biologique.
Transport
Le transport des produits de l'altération et des particules des roches meubles aboutit au façonnement des formes de relief. La gravité est l'agent fondamental, universel, qui attire vers les points bas tout élément transportable. Généralement, d'autres agents l'assistent, l'eau étant le principal d'entre eux.
Les éléments détritiques et les solutions issus de la destruction des roches mères subissent des modifications au cours de leur transport vers les aires de sédimentation. Ces modifications dépendent de la nature et de la taille des éléments transportés, de l'agent vecteur et de la durée du transport. Toutes aboutissent à une adaptation plus ou moins poussée à la dynamique respective des processus en cause. Cette adaptation s'exprime à l'échelle de chaque élément comme à celle de leur masse.
À l'échelle de l'élément, elle consiste en un façonnement qui réduit au minimum la résistance au déplacement. Par fragmentation, frottements, dissolution, il atteint un certain « émoussé » : les actions mécaniques sont plus aisées quand la granulosité est plus grossière, mais la dissolution est favorisée par une diminution de taille. Une action de triage se développe simultanément au sein de la masse. Elle est mécanique et chimique. Les fragments les moins durs et les plus solubles disparaissent les premiers ; les éléments insolubles les plus fins sont préservés ; les débris clastiques peuvent être classés par densité ou par taille en fonction des modalités du déplacement : suspension, saltation ou roulage. Dans l'ensemble, tout en s'amenuisant, les sédiments détritiques grossiers s'appauvrissent en éléments tendres, altérables ou solubles. C'est la raison de la dominance du quartz dans les sables. Ce triage peut se poursuivre dans les bassins d'accumulation sous l'action des courants et en fonction de la topographie des fonds. De cette manière, les aires de sédimentation piègent un matériel diversement façonné et classé.
L'action des divers agents de transport est plus ou moins efficace. Le vent ne peut prendre en charge que des éléments de petite taille (inférieure à 2 mm), mais il opère un triage très poussé parmi les éléments puisqu'il les prélève par vannage et qu'il ne les façonne que lentement. Un glacier, en revanche, peut transporter les éléments de taille quelconque que l'érosion mécanique des versants lui fournit. Il ne les modifie guère : les moraines restent des amas non classés et non structurés d'éléments anguleux seulement marqués par des stries. Les écoulements pérennes, fleuves et rivières, émoussent et calibrent leurs alluvions plus efficacement que les crues spasmodiques des milieux semi-arides caractérisés par des transports en vrac. Ces eaux courantes, en tout état de cause, sont le seul agent général constamment actif qui permette le transit rapide des éléments nés de l'érosion des versants.
Toutes les actions dues au transport sont d'autant plus intenses que la distance entre les bassins d'alimentation et de sédimentation est plus grande. C'est ainsi que la pauvreté en éléments altérables d'un sédiment détritique est un indice de distance à la source d'alimentation, comme d'ailleurs le classement des sédiments déposés. Mais, pour chaque processus de transport, il existe une distance limite à partir de laquelle se réalise un équilibre entre ses caractéristiques et celles du matériel transporté. Les particularités de la sédimentation dépendent alors des rapports qui s'établissent entre le processus et le matériel mobilisé. Dans une mesure variable, les roches sédimentaires révèlent les modalités du transport de leurs constituants. À condition de savoir éliminer certains remaniements exceptionnels, les caractères de la sédimentation sont donc de bons guides dans les reconstitutions paléogéographiques et paléoclimatiques.
Dépôt
Les roches sédimentaires reflètent aussi les conditions du dépôt. Ces rapports se manifestent avec évidence dans le cas des roches détritiques de faciès continental. Ils concernent à la fois le calibre de leurs éléments constitutifs et leur disposition.
La granulométrie de ces roches exprime ainsi les conditions dynamiques offertes par le processus de transport au moment du dépôt. Elle résulte, en fait, d'un triage mécanique du matériel véhiculé en fonction de la variation de capacité et de compétence de l'amont vers l'aval. De cette façon se réalise une distribution horizontale des éléments sédimentés suivant les zones définies par un spectre granulométrique décroissant. Dans le cas de dépôts fluviatiles, on observe ainsi le passage progressif de formations grossières de piémont aux accumulations fines de limons et d'argiles d'aval. Mais cette répartition apparaît plus ou moins rigoureuse selon les modalités de l'écoulement concerné. Celle qui est liée à des écoulements pérennes, du type fleuves ou rivières, est beaucoup plus régulière que celle qui est due à une mise en place discontinue par des écoulements spasmodiques, crues d'oueds ou de ruissellements diffus des régions arides. À la limite, l'écoulement glaciaire ne réalise aucun triage des moraines. Le vent, agent de transport très sélectif, engendre au contraire des accumulations bien classées.
Les sédimentations lacustre et, surtout, marine échappent pour l'essentiel à cette intervention décisive du processus de transport ; la sédimentation marine ne se manifeste guère que sur la plate-forme continentale, où domine une accumulation détritique engendrée par des apports des continents et, accessoirement, par l'action de l'érosion littorale. Aussi la distribution du matériel y apparaît-elle plus complexe en raison des interférences de milieux à dynamiques différentes. Elle y prend l'aspect d'une mosaïque caractérisée par une alternance de formations grossières de deltas avec des vases d'estuaires et des dépôts d'origine chimique ou organique.
La disposition des éléments réalisée lors du dépôt se manifeste aussi dans les caractéristiques des roches détritiques. À l'échelle de chacun d'eux, seuls les plus grossiers sont capables de trouver des positions d'équilibre déterminées par la dynamique du processus de transport. Les galets des fleuves et des rivières présentent ainsi leurs grands axes perpendiculairement à la direction du courant, et leurs plans principaux relevés vers l'aval. La structure de la masse déposée n'est pas moins significative. Des alluvions des écoulements pérennes offrent une stratification lenticulaire classique. Ce dispositif s'oblitère dans le cas des ruissellements spasmodiques des déserts jusqu'à disparaître quand le transport s'effectue en vrac. On sait aussi que le vent réalise des accumulations sableuses à stratification croisée, qui sépare nettement les grès dunaires des grès marins.
Mais les liens entre la sédimentation et les éléments transportés en solution, générateurs des évaporites, ne sont pas aussi étroits. La sédimentation purement chimique n'est le fait que d'un héritage lointain et partiel de l'érosion des roches mères. Elle se fait dans des bassins où la saturation est atteinte pour un couple anion-cation. La solubilité variable des nombreux sels virtuellement contenus dans une solution ionique implique un ordre strict des dépôts qui conduit aux séquences salines. Celles-ci sont fonction de la composition initiale de la solution ainsi que des apports postérieurs. En général, la saturation est atteinte du fait d'une prédominance de l'évaporation sur les apports d'eau douce. Dans le cas de l'eau de mer, la séquence théorique débute par les carbonates et se poursuit par le gypse, le sel gemme puis, exceptionnellement, des sels potasso-magnésiens. Les conditions optimales demandent un climat chaud et la présence de lagunes ou de mers épicontinentales peu profondes. Ces dépôts, lorsqu'ils sont marins, marquent soit la fin d'une transgression ou le début d'une régression sur une plate-forme continentale, soit la rétention temporaire d'une masse d'eau dans un fossé subsident.
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Écrit par
- Roger COQUE : professeur des Universités, professeur émérite à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
- André JAUZEIN : professeur à la faculté des sciences de l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie, directeur du laboratoire de géologie de l'École normale supérieure de Paris
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Médias
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