SIMON RICHARD (1638-1712)
Né à Dieppe, fils d'artisan, Richard Simon fit ses études chez les oratoriens de Dieppe, puis chez les jésuites de Rouen. Après un bref essai au noviciat de l'Oratoire (1658), il poursuivit à la Sorbonne des études de théologie et de langues orientales. Il revint à l'Oratoire en 1662 ; à part le temps de son noviciat et deux séjours à Juilly comme professeur de philosophie (1663-1664 et 1666-1668), la maison de la rue Saint-Honoré fut le cadre de ses travaux. Prêtre en 1670, il inaugure peu après ses activités littéraires. À côté de travaux mineurs : deux factums de circonstance, l'un pour les juifs de Metz (1670), l'autre contre les bénédictins de Fécamp (1675) ; deux traductions, une du rabbin Léon de Modène (Cérémonies et coutumes qui s'observent aujourd'hui parmi les juifs..., Paris, 1674 ; une réédition, augmentée d'un second volume, paraît en 1681) et une autre du jésuite J. Dandini (Voyage au mont Liban, Paris, 1675), il convient de noter surtout son édition, sous le titre Fides Ecclesiae orientalis (Paris, 1672, in-4o), des opuscules théologiques de Gabriel de Philadelphie sur l'eucharistie, œuvre remarquable où la science et la lucidité de Simon s'expriment en deux cents pages de notes complémentaires.
En même temps, Simon prépare une Histoire critique du Vieux Testament, qui, divisée en trois parties, entreprend de juger scientifiquement les livres de l'Ancien Testament et tous ceux qui, au cours des siècles, se sont mêlés de les traduire et de les commenter. Mais cette entreprise hardie venait au mauvais moment. Catholiques et protestants se montrèrent également effrayés par une critique qui ruinait les fondements de leur apologétique. Avant même que l'impression du livre ne fût terminée, Bossuet, ayant lu dans la table des matières que « Moïse ne peut être l'auteur de tout ce qui est dans les livres qui lui sont attribués », courut chez le chancelier. En quelques semaines, le livre fut saisi et supprimé. Simon, exclu de l'Oratoire et retiré d'abord dans son prieuré de Bolleville, se vit entraîné dans des polémiques sans fin, notamment avec les protestants Spanheim, de Veil, Le Clerc, Vossius, tandis que traînaient en longueur des pourparlers avec Bossuet en vue d'une réédition corrigée. Finalement, pour faire pièce à une mauvaise réimpression exécutée sans son accord (Amsterdam, 1680), Simon prépara en secret une réédition enrichie de notes et d'une nouvelle préface (Rotterdam, 1685). Ainsi se développe une activité clandestine qu'avait inaugurée la publication de lettres sur des sujets d'orientalisme et d'une vie du père Morin, peu indulgente pour l'Oratoire (Antiquitates Ecclesiae orientalis [...] quibus praefixa est Joh. Morini vita, Londres, 1682), et qui se poursuivra avec les critiques du Nouveau Testament.
Simon publie bientôt, en effet, trois nouveaux volumes en quatre ans : Histoire critique des textes du Nouveau Testament (Rotterdam, 1689), Histoire critique des versions du Nouveau Testament (ibid., 1690), Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament (ibid., 1693), qui entraînent des polémiques contre Arnauld et Le Clerc parues dans les Nouvelles Observations sur le texte et les versions du Nouveau Testament (Paris, 1695). Plus tard, une œuvre de traduction, Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus-Christ, traduit sur l'ancienne édition latine avec des remarques (4 t. en 2 vol., Trévoux, 1702), est immédiatement attaquée par Bossuet et interdite par l'archevêque de Paris.
En même temps, Simon publie d'autres ouvrages sur des sujets variés : Histoire des revenus ecclésiastiques (par Jérôme a Costa, Francfort, 1684) ; Histoire critique de la créance et des coutumes des nations du Levant (par le sieur de Moni, Francfort, 1684) ; Difficultés proposées au révérend père Bouhours sur sa traduction française des quatre évangélistes (Amsterdam, 1697) ; Lettres critiques où l'on voit les sentiments de M. Simon sur plusieurs ouvrages nouveaux, publiées par un gentilhomme allemand (Bâle, 1699, contre dom Martianay, éditeur de saint Jérôme).
Après l'échec de la version de Trévoux (1702), la carrière scientifique de Simon est terminée. Il ne publie plus que des recueils de Lettres ou des Bibliothèques de pièces diverses. Il se retire à Dieppe, où il meurt.
Deux œuvres posthumes virent le jour beaucoup plus tard : la Critique de la bibliothèque des auteurs ecclésiastiques et des prolégomènes de la Bible, publiez par M. Elies Du-Pin [...] par feu M. Richard Simon (4 vol., Paris, 1730), édition préparée par le père Souciet, S.J., qui ajouta au texte de Simon des Remarques abondantes et sévères ; et l'édition définitive des Lettres choisies de M. Simon, augmentée d'un Éloge historique par Bruzen La Martinière (4 vol., Amsterdam, 1930).
Hardi novateur, caractère ombrageux et fuyant, Simon fut violemment attaqué pendant sa vie, notamment par Bossuet, qui provoqua la suppression de sa première Histoire critique (1678), censura la version de Trévoux en deux Instructions (1702 et 1703) et composa contre l'œuvre de Simon la Défense de la Tradition et des saints Pères laissée inachevée et publiée seulement en 1753.
L'homme que fut Simon, naturellement méfiant, rendu dissimulé par la persécution, reste pour nous mystérieux. On a même douté de la sincérité de sa foi. Pourtant, s'il accordait peu de poids aux opinions des théologiens, il n'a jamais abandonné les croyances essentielles de l'Église catholique sur l'inspiration de l'Écriture et la nécessité de la Tradition. En outre, jusqu'à sa mort, en dépit de soupçons et d'invitations contraires, il a toujours professé une totale fidélité à l'Église.
Comme savant, son principal mérite est d'avoir su tirer parti d'objections qui étaient dans l'air et, en soulignant le caractère composite de l'œuvre de Moïse, d'avoir créé la critique littéraire. Sans doute d'autres avant lui, Hobbes (1651), I. de La Peyrère (1655), Spinoza (1670), avaient plus ou moins radicalement révoqué en doute l'authenticité des livres du Pentateuque, mais aucun n'avait traité le sujet ex professo, avec autant de détails et une méthode aussi rigoureuse.
En d'autres domaines, critique du Nouveau Testament, littératures orientales, il fit encore preuve d'une immense érudition et émit des idées neuves et justes.
Pourtant, persécuté de son vivant, de plus en plus isolé et méfiant à mesure qu'il avançait en âge, il mourut sans avoir de continuateur. Il faut attendre le xixe siècle, puis l'époque contemporaine pour que ses idées soient redécouvertes (A. Bernus, Richard Simon et son histoire critique du Vieux Testament. La critique biblique au siècle de Louis XIV, thèse, Lausanne, 1869 ; J. Steinmann, Richard Simon et les origines de la critique biblique, Paris, 1960 ; P. Auvray, Richard Simon, 1638-1712. Étude bio-bibliographique avec des textes inédits, Paris, 1974). Il connaît aujourd'hui le destin de tous les grands précurseurs. On le lit avec intérêt ; on admire son érudition, son intelligence, son courage ; on regrette seulement qu'un tel effort s'inscrive dans la longue série des occasions manquées.
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Écrit par
- Paul AUVRAY : professeur au scolasticat de l'Oratoire
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Autres références
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BOSSUET JACQUES BÉNIGNE (1627-1704)
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Jacques TRUCHET
- 3 923 mots
- 1 média
De là son opposition implacable aux efforts de Richard Simon, qui jetait les bases d'une exégèse plus scientifique ; Bossuet s'acharna à faire interdire ses œuvres, et c'est contre lui qu'il écrivit sa Défense de la Tradition et des saints Pères. -
HISTOIRE (Histoire et historiens) - Sources et méthodes de l'histoire
- Écrit par Olivier LÉVY-DUMOULIN
- 6 218 mots
- 6 médias
...critique philologique avec le dictionnaire de latin médiéval (Glossarium mediae et infimae latinitatis, 1678) de Charles Du Cange. Par ailleurs, le prêtre Richard Simon initie la critique textuelle qui permet d'historiciser la Bible avec son Histoire critique du Vieux Testament (1678) qui va mener...
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