Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PAYSANNE RÉVOLUTION

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

C'est une des thèses fondamentales de Marx que le prolétariat industriel constitue la seule classe révolutionnaire à l'ère du capitalisme. Convaincu que les paysans pauvres se rallieront à la cause de la révolution quand le prolétariat apparaîtra comme une force dirigeante, capable de détruire toute forme d'exploitation, il ne l'est pas moins de leur manque de cohésion et de leur impuissance, en conséquence, à viser des objectifs universels. Son analyse du 18-Brumaire est à cet égard demeurée célèbre. À ses yeux, les paysans français constituent la base sociale privilégiée du bonapartisme ; ils forment une classe qui n'en est pas une ; isolés les uns des autres par le mode de production, ils se prêtent à l'entreprise d'un dictateur qui règne au-dessus des classes et réduit la population entière à l'état d'une masse inorganisée. Marx et Engels ont de même soumis à la critique les révoltes paysannes du passé, notamment les révoltes des paysans en Allemagne au xve siècle.

Ils s'opposaient ainsi à des courants qui, tel le populisme russe, privilégiaient le rôle de la paysannerie. La stratégie révolutionnaire des bolcheviks s'est développée sous le signe de l'alliance de la classe ouvrière et de la classe paysanne. Lénine oscilla un temps entre la thèse marxiste orthodoxe et celle de l'alliance des classes révolutionnaires et entretint une longue polémique avec Trotski, lequel remettait au prolétariat la direction exclusive de la révolution ; mais L'État et la Révolution (1917), texte théorico-programmatique clé, affirme sans réserve la conception de la dictature du prolétariat.

Mao Zedong, à qui l'on attribue la théorie de la révolution paysanne, ne l'a avancée qu'après la défaite du soulèvement de 1927 (Rapport d'enquête sur le mouvement paysan du Hunan, 1927). Encore n'a-t-il jamais fait la critique systématique de l'interprétation marxiste classique. Mais il est vrai, comme l'observe I. Deuscher, qu'il « ... reconnut de plus en plus explicitement la paysannerie comme seule force active de la révolution, jusqu'à tourner virtuellement le dos à la classe ouvrière des villes ».

La paysannerie a participé à de nombreux mouvements révolutionnaires, et elle y a joué parfois un rôle important, en particulier dans le Tiers Monde. Mais sa capacité à être révolutionnaire jusqu'au bout, c'est-à-dire à porter jusqu'à son terme la revendication de l'abolition de toutes les formes d'exploitation et de domination de classe, est contestée par de nombreux courants du mouvement ouvrier : non seulement par ceux qui se réfèrent à Marx et à Lénine, mais aussi par ceux qui font état de la formation de régimes bureaucratiques en conséquences des révolutions paysannes. Tandis que l'échec de la révolution prolétarienne aboutirait au renforcement de l'appareil d'État bourgeois, le succès des révolutions paysannes, soutiennent-ils, engendre un nouveau type d'exploitation de classe.

— Claude LEFORT

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Claude LEFORT. PAYSANNE RÉVOLUTION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • BOLCHEVISME

    • Écrit par
    • 7 595 mots
    • 6 médias
    ...(Marx, 1848) d'une révolution bourgeoise réussie contre la bourgeoisie, il considérait que la chute du tsarisme n'était possible que si l'on parvenait à mobiliser, aux côtés du prolétariat, « les classes [...] qui mènent une pénible existence petite-bourgeoise », c'est-à-dire essentiellement les masses...