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PHÈDRE (J. Racine) Fiche de lecture

« Le mal vient de plus loin »

<em>Phèdre</em>, de Jean Racine - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Opale.photo

Phèdre, de Jean Racine

La rigueur structurale de la tragédie renvoie à celle du destin : « Le mal vient de plus loin. » Phèdre est victime de forces qui la dépassent, soumise à la mythologie et aux dieux qui l'incarnent, soumise à l'Origine. Euripide, Sénèque et tant d'autres l'ont déjà écrit : Phèdre est « la brillante », étymologiquement ; elle est la démesure et la fatalité. Fille de Minos (descendant de Jupiter) et de Pasiphaé (descendante du Soleil), elle souffre sans répit de son désir et de la conscience que ce désir est une faute. Son combat pour s'éloigner d'Hippolyte se heurte au destin (Thésée, partant pour l'Épire, la place sous la protection de son fils). Dès le début de la pièce, elle se meurt, coupable et victime à la fois.

Les autres personnages ne sont pas moins complexes. Aricie (pour l'essentiel un personnage inventé par Racine) est l'amoureuse vaincue et parfois révoltée, victime par essence, puisqu'elle est la descendante d'une dynastie vaincue. Quant à Thésée, c'est un roi qui empêche toute justice et donc toute vérité : Hippolyte ne peut déclarer son amour pour une jeune femme interdite, Phèdre ne peut donc deviner qu'il aime ailleurs et se découvre. Hippolyte est alors partagé entre une admiration extrême pour son père et des désirs qui le poussent à lui désobéir. Il est aussi celui qui meurt de s'être tu, contrastant en cela avec Phèdre qui meurt d'avoir trop parlé. Par son absence, Thésée, victime de l'ignorance dans laquelle il est des rapports entre son fils et sa seconde épouse, a installé la situation tragique. Le vaillant héros mythologique est un roi illégitime qui abandonne son État pour une aventure individuelle, qui reparaît pour constater l'effet de sa désastreuse absence et punit sans savoir. On le voit, les personnages sont à la fois déterminés par les dieux et plongés par eux dans la souffrance. Ces dieux ne sont plus seulement un beau décor, des noms qui sonnent bien, ou même les références symboliques des passions et des désirs, mais des entités terribles, les puissances du désordre, ou d'un ordre ignoré, fondant de fausses valeurs sur lesquelles les hommes se brisent. La douleur des personnages renvoie donc à l'inquiétude morale et religieuse des hommes devant l'ignorance qu'ils ont des décrets divins. Vision janséniste ? Peut-être. Vision tragique, assurément.

La tragédie de Phèdre laisse pourtant penser qu'une voie reste possible, celle des larmes, de la souffrance fondée sur l'expiation d'être homme. Thésée, roi fautif, se repent à l'extrême fin de la pièce, lorsque Phèdre lui avoue sa passion mortelle, lorsqu'il rend au fils qu'il avait maudit les honneurs posthumes et qu'il adopte Aricie. Thésée, devant l'ampleur de sa responsabilité, ne se tue pas et n'ajoute pas le sang au sang. Il se propose d'expier dans une douleur sans fin. Racine ne quitte donc plus cette double leçon qu'il est possible et impossible de se sauver parce qu'il ne dépend pas de l'homme seul d'accéder au Salut.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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Pour citer cet article

Christian BIET. PHÈDRE (J. Racine) - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<em>Phèdre </em>de J. Racine, mise en scène de Luc Bondy - crédits : Pool Dufour/ Thomas/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Phèdre de J. Racine, mise en scène de Luc Bondy

Jean Racine, F. de Troy - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Jean Racine, F. de Troy

<em>Phèdre</em>, de Jean Racine - crédits : Pascal Victor/ ArtComPress/ Opale.photo

Phèdre, de Jean Racine