OPEN THEATRE
Lorsque Joe Chaikin quitta en 1963 le Living Theatre pour créer l'Open Theater, il allait à la fois prolonger le travail des Beck et engager la création théâtrale dans des voies très différentes. Son travail est tout entier orienté vers le jeu de l'acteur et les techniques d'expression dramatique. Une réflexion très systématique sur les notions de rôle, de personnage, de « présence » scénique l'a amené à dresser un inventaire d'exercices utilisant au maximum le corps du comédien. Ces techniques sont destinées à exprimer une certaine relation que l'individu entretient avec la société. Marqué par les rôles qu'il joua pendant ses années au Living, surtout par celui de Galy Gay dans la pièce de Brecht Homme pour homme, Chaikin se consacre à une double tâche : trouver des techniques aptes à exprimer la métaphore de la condition humaine, et aider le comédien à trouver sa vérité. Partant de la « méthode » de Stanislavski et des variations qu'en a proposées Nola Chilton, Chaikin développe un autre art du comédien, moins dogmatique. Il énonce quatre principes fondamentaux : celui de la collision dramatique, de la mémoire affective, de l'analyse du texte et de l'inspiration. L'Open Theater, installé d'abord à Sheridan Square en 1963, puis en Martinique en 1964, fonctionna avant tout comme un atelier où furent montées des improvisations soigneusement travaillées. Très vite, Chaikin sollicita la collaboration d'auteurs, tels J. Claude Van Itallie ou Megan Terry, afin d'aider à ébaucher des textes qui servent de base aux improvisations collectives. L'action et le personnage sont suggérés par le texte ; les techniques gestuelles et vocales construisent la réalité théâtrale. Chaikin se préoccupe de formaliser l'émotion afin de mieux la communiquer. Après Lee Strasberg à l'Actor's Studio et après Nola Chilton, Chaikin élabore des exercices permettant d'établir un nouveau type de rapports entre les acteurs, et entre l'acteur et ses rôles. Ces techniques d'improvisation collective visent à découvrir une certaine vérité sur des situations fondamentales, comme l'isolement, l'emprisonnement de l'individu dans la société, et à atteindre l'« intérieur » d'un personnage, sa structure profonde. Les principes sur lesquels se fondent ces exercices exigent une très grande mobilité. Ce sont ceux de l'alternance (l'extérieur, l'intérieur), de la transformation (les réalités établies où les circonstances données changent plusieurs fois au cours de l'action), de la mutation, de l'échange (transmettre, recevoir), de la machine (représentation du fonctionnement d'une machine) — stylisation qui peut servir aussi à exprimer les sentiments et offre une technique d'appropriation et de mise à distance —, enfin de la relation au monde. Toutes ces expérimentations amènent peu à peu l'Open Theater à remettre en question la méthode et le naturalisme psychologique sur lequel reposait tout le travail théâtral américain.
Si American Hurrah (1966) et The Serpent (1968) comptent parmi ses productions les plus célèbres, il faut aussi citer From an Odets Kitchen, An Airplane de Van Itallie, Keep Tightly Closed in a Cool Dry Place, Viet Rock de Megan Terry, et Terminal, inspiré d'un texte de Susan Yankowitz, et d'autres créations collectives, comme Mutation Show (1972), The Door Show, a Clown Play (1972).
Après dix ans de travail en commun (1963-1973), les animateurs de l'Open Theater décident de se séparer, afin d'éviter l'enlisement qui guette les compagnies associées par l'establishment, et de poursuivre des recherches théâtrales nouvelles. L'expérience de l'Open Theater reste cependant « ouverte ». La fin des activités du groupe ne correspond pas à un adieu définitif[...]
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Écrit par
- Geneviève FABRE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
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