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MOIRES

Les Moires (Moïrai) sont trois sœurs que les Latins nommeront les Parques et qui sont comme autant de visages, de facettes ou de saisons d'une unique Moïra : Clôthô, Lachésis et Atropos — la Fileuse, la Destinée (ce qui est envoyé par le sort) et l'Inflexible. Pour chaque mortel, elles accordent une mesure de vie, dont elles règlent la durée, la première en filant, la seconde en enroulant le fil, la troisième en le coupant. La Théogonie d'Hésiode leur attribue deux origines différentes : au vers 217, elles sont nommées filles de Nuit, et donc, entre autres, sœurs des Hespérides — ces jardinières de l'extrême Occident — ainsi que des terribles Kères ; au vers 905, elles sont présentées comme les filles de Zeus et de Thémis, sœur des Heures, qui à chacun dispense sa part de bonheur et de malheur. Quant à la théogonie orphique, elle fait d'elles directement les filles d'Ouranos et de Gaïa, mais il arrive aussi qu'elles soient mentionnées comme les filles de Kronos et qu'Aphrodite soit appelée leur aînée (Épiménide, fragment XIX, in H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker). Quoi qu'il en soit, ce que toutes ces généalogies ont en commun, c'est de rattacher les Moires — même dans la seconde version évoquée par Hésiode — à la première génération divine, celle des forces élémentaires : les Moires, bien que ce pluriel soit post-homérique (et ce d'une manière essentielle relativement au monde grec pour lequel L'Iliade est coup d'envoi), sont des divinités très anciennes, d'origine orientale probablement, liées au cycle naturel de la génération et de la corruption, de la naissance et de la mort. Comme telles, elles suscitent chez les Grecs des sentiments et des attitudes marqués par l'ambivalence : aimées et détestées, désirées et redoutées, elles se situent à la fois en dessous et au-dessus des dieux, en deçà et au-delà de la différence. Si on peut les nommer, on ne peut rien dire d'elles. Si elles sont elles-mêmes muettes comme des tombes, c'est d'elles que les immortels aussi bien que les mortels tiennent la parole et la loi. Les Moires personnifieraient donc la loi du désir, loi aveugle et barbare qui veut l'effacement de l'individu au profit de l'espèce, la disparition de la forme au profit de la matière, la perte du sujet dans la substance, et à laquelle il ne serait possible de répondre que par le désir de la loi. La très étrange analyse proposée par Freud dans l'essai qu'il consacre au thème des trois coffrets (Essais de psychanalyse appliquée) présente les trois Moires comme étant les trois Mères, ou plus exactement les trois visages de la même Mère que l'homme rencontre au cours de son existence. Il faudrait donc croire qu'en deçà et au-delà des différences, ces trois sœurs appartiennent à une sorte de fonds commun mythique de l'humanité.

— Robert DAVREU

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Écrit par

  • : enseignant en littérature générale et comparée à l'université de Paris-VIII, poète et traducteur

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Pour citer cet article

Robert DAVREU. MOIRES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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