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MANHATTAN, film de Woody Allen

Il suffisait de presque rien

Après Renoir dans La Règle du jeu (1939) et Bergman dans Sourires d'une nuit d'été (1955), Woody Allen se demande s'il faut ou non, en matière amoureuse, « laisser faire la nature » sans trop se poser de questions d'âge ou de « milieu socioculturel ». Et comme Renoir et Bergman, il répond oui... un peu tard. Il suffisait de presque rien pour qu'Isaac connaisse le bonheur sans fin avec Tracey, dans « l'union à vie, comme les pigeons et les catholiques »... À l'instar d'Isaac, son alter-ego fictionnel cependant, Woody Allen ne donne pas l'impression d'être prêt pour ce choix du « naturel ». La sophistication toute postmoderne des images, les flamboyances du dialogue, l'obsession réflexive qui informe presque chaque plan – un nombre considérable d'artistes et d'œuvres sont cités – tirent le film du côté « intellectuel » alors même qu'il défend la position opposée. Parmi les citations, celles qui concernent le cinéma hollywoodien de l'âge d'or sont légion, et la bande-son reprend des thèmes de comédies musicales : Manhattan se rapproche ainsi de Comme un torrent (Some Came Running de Vincente Minnelli, 1959), un film dont le héros se trouve lui aussi partagé entre une femme « nature » et une femme « culture », et choisit trop tard la première des deux... Mais Isaac est bien plus proustien – un adjectif que l'on entendra dans Stardust Memories – en ce sens qu'il semble volontiers préférer l'idée de l'être aimé à sa présence effective (la réplique de Casablanca qu'il cite – « Au moins il nous reste Paris », c'est-à-dire les beaux souvenirs de notre romance enfuie – va d'ailleurs dans ce sens). De surcroît, tout en considérant le cerveau comme « un organe surfait », il se réclame de Groucho Marx alors que Groucho finissait les films au bras d'une riche veuve, pas à celui d'une jeune beauté...

La seule certitude, dans ce microcosme un peu frivole que l'on n'appelait pas encore « bobo », c'est que New York est la ville la plus extraordinaire du monde (Taxi Driver en présentait le côté sombre trois ans plus tôt !). Les personnages exposent ainsi leurs atermoiements au long du circuit des adresses préférées de Woody Allen : Elaine's, John's Pizza, Bloomingdale, le Planétarium où l'on se réfugie un jour de pluie, les fiacres qui remontent au long de Central Park... Dans ce monde léger, aucun chagrin d'amour ne semble assez fort pour résister au crabe de chez Woo ou au spectacle du Brooklyn Bridge qui émerge du brouillard à six heures du matin.

— Laurent JULLIER

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Laurent JULLIER. MANHATTAN, film de Woody Allen [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALLEN WOODY (1935- )

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 2 535 mots
    • 2 médias
    ...de films, il part d’une base authentique minimale, parfois simplement sa vie sexuelle et sentimentale du moment, mais pour tisser un cocon protecteur. C’est la fonction du décor, des appartements cosy de Manhattan, des lumières douces, des teintes chaudes, des mouvements de caméra tout en douceur,...

Voir aussi