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MA VIE AVEC LIBERACE (S. Soderbergh)

Dans la prison du kitsch

<it>Ma vie avec Liberace</it>, de Steven Soderbergh - crédits : HBO FILMS/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Ma vie avec Liberace, de Steven Soderbergh

C’est ainsi que Ma Vie avec Liberace vient former un diptyque avec Magic Mike (2012), consacré au monde du strip-tease masculin. Les deux films traitent de manière pudique, presque tendre, des sujets qui s’annonçaient scabreux. À ce propos, Ma Vie avec Liberace s’est vu refusé aux États-Unis une distribution en salle à cause de son traitement sans détour de l’homosexualité masculine : le film, produit par la chaîne payante H.B.O., n’a été diffusé que via le câble, les plates-formes de vidéos à la demande ou l’édition DVD. On est en droit de s’en étonner, car il existe des œuvres bien plus provocantes que celle-ci dans la représentation de la sexualité. Tout comme Magic Mike déjouait les pièges du voyeurisme pour s’attacher au rêve tranquille de son personnage central, Ma Vie avec Liberace oublie la crudité de ses premières minutes (la drague dans les bars gay) pour n’avoir de cesse que de rendre touchante une histoire d’amour sincère. Pour cela, il paraît un temps reprendre le canevas du film de Billy Wilder, Sunset Boulevard : une star en proie aux ravages du temps, un décor étouffant de luxe ostentatoire, un gigolo mi-naïf, mi-roublard. Mais c’est pour mieux s’en détourner. La popularité de Liberace (Michael Douglas) n’est pas sur le déclin et son interrogation tragique consiste à savoir comment il peut concilier son image auprès de son public avec sa sexualité dissimulée et sa décrépitude physique. Son amant Scott Thornson (Matt Damon), de son côté, se révèle de moins en moins calculateur et de plus en plus sincère, bien qu’il ait lui aussi du mal à assumer pleinement son identité. Une fois de plus, ce sont les craquelures d’une apparence trop lisse qui intéressent Soderbergh : elles n’apparaissent qu’aux protagonistes, dans leur relation intime, et tous deux œuvrent à maintenir un vernis parfait pour le regard extérieur. Emprisonnement spatial (le film va d’une demeure à l’autre, et le turquoise des piscines et du ciel apparaît comme le leurre suprême) et emprisonnement moral se rejoignent. Ultime ironie, c’est lors des funérailles de la star, dans l’éclat factice de l’église transformée en scène, que la vérité de la relation amoureuse se transfigure à la fin du film, quand Liberace, comme par magie, paraît léviter sous les yeux de son amant.

Porté par des comédiens admirables, tant Michael Douglas dans l’excès que Matt Damon dans une sobriété touchante, Ma Vie avec Liberace est certainement une des œuvres les plus achevées de Steven Soderbergh, en même temps qu’un film qui adopte une narration familière pour énoncer un message troublant sur la norme et la marge, les médias et le jeu des apparences.

— Christian VIVIANI

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Écrit par

  • : historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue Positif

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Pour citer cet article

Christian VIVIANI. MA VIE AVEC LIBERACE (S. Soderbergh) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Ma vie avec Liberace</it>, de Steven Soderbergh - crédits : HBO FILMS/ The Kobal Collection/ Picture Desk

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