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LUPERCALES

Le 15 février à l'aube, à Rome, deux groupes de jeunes gens, appartenant respectivement aux gentes des Fabii et des Quinctii, se réunissaient au Lupercal, cette grotte au pied du Palatin, où la louve de la légende avait allaité les jumeaux fondateurs. Après avoir sacrifié une chèvre dont ils découpaient la peau en lanières, ces luperques, vêtus d'une simple peau de bouc, se lançaient dans une course folle autour du Palatin et fouettaient de leurs lanières tous ceux qu'ils rencontraient, les femmes en particulier. Il suffit de décrire brièvement cette fête étrange pour constater qu'elle contredisait aux règles ordinaires de la gravitas romaine et aux convenances sociales les plus élémentaires.

Le nom de luperques est certainement apparenté à celui du loup, lupus ; moins sans doute en raison de la louve de la légende que de la sauvagerie dont cet animal était le symbole. Cicéron (Pro Caelio, 26) évoque ainsi cette confrérie : « La sodalité sauvage, toute pastorale et agreste des frères luperques, dont le rassemblement sylvestre a été institué avant la civilisation humaine et les lois. » Une légende étiologique permet d'entrevoir la signification de la fête : après le rapt des Sabines par Romulus, ces femmes se révélèrent stériles, au grand désespoir de leurs ravisseurs qui en espéraient précisément une descendance. Alors se fit entendre dans un bois sacré une voix mystérieuse qui proclamait : « Qu'un bouc pénètre les femmes italiennes ! » Un habile devin sut interpréter cette injonction divine de façon à sauvegarder l'honneur de ces dames : il fit découper dans la peau d'un bouc des lanières dont on fouetta les Sabines ravies (aux deux sens du terme), qui, de ce fait, eurent beaucoup d'enfants.

Au terme de l'année religieuse, la fête des lupercales était destinée à raviver la fécondité de la société humaine en libérant les puissances vitales de la nature de toutes les contraintes de la civilisation. Aussi bien le dieu de la fête était-il Faunus, le maître des forces naturelles de fécondité sous leur forme la plus spontanée.

Ce renouvellement de la fécondité sociale s'opérait au bénéfice du roi, et le sentiment s'en est conservé vivace fort longtemps à Rome. Lorsque César voulut tenter d'instituer à son profit une monarchie en se faisant tendre par Antoine une couronne qu'il dut refuser devant les huées du peuple assemblé, il choisit la fête des lupercales, le 15 février ~ 45, pour cette mise en scène. On peut être sûr que ce choix n'était pas dû au hasard : la tentative de César trouvait tout naturellement place dans le cadre d'une fête encore toute chargée des exigences de la royauté archaïque.

— Jean-Paul BRISSON

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Pour citer cet article

Jean-Paul BRISSON. LUPERCALES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CARNAVAL

    • Écrit par Annie SIDRO
    • 6 168 mots
    • 1 média
    Dans l'Antiquité, les saturnales etlupercales des Romains, fêtes célébrées respectivement en décembre et en février, étaient l'objet de débordement licencieux de la part des participants : on jouait à l'inversion des sexes (les hommes se déguisaient en femmes) et à l'inversion des rôles (l'esclave...
  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...lorsqu'une matrone couronnait solennellement l'objet, c'était pour implorer une bonne récolte (pro eventibus seminum). Pendant les fêtes de Faunus, les Lupercalia, les adeptes du dieu flagellaient sur leur passage les femmes avec des lanières découpées dans la peau d'une chèvre qu'on venait d'immoler :...
  • FAUNUS & DIVINITÉS RUSTIQUES

    • Écrit par Jean-Paul BRISSON
    • 604 mots
    • 1 média

    Le domaine de Faunus, divinité romaine, inquiétante et complexe, est proprement rural : champs, prés, forêts, par opposition à tout ce qui est urbain. Son pouvoir est à la fois nécessaire et redoutable pour l'homme ; son aire d'action englobe tout un secteur indispensable à la survie de la société...

  • ROME ET EMPIRE ROMAIN - La religion romaine

    • Écrit par Pierre GRIMAL
    • 7 011 mots
    ...mois de janvier, les Carmentalia, en l'honneur d'une très ancienne déesse prophétique, protectrice des femmes en couches. En février, les Lupercalia, au cours desquelles des jeunes hommes nus couraient autour du Palatin, après avoir sacrifié un bouc ; peu après, le Regifugium, où l'on...

Voir aussi