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LES MOTS ET LES CHOSES (M. Foucault)

L’homme en question

Michel Foucault distingue par ailleurs trois grandes aires culturelles, s’attachant à montrer comment chacune suppose une configuration qui donne à l’ensemble des discours de vérité, quel que soit leur objet, un même style : connaître, c’est établir des ressemblances à la Renaissance ; articuler des représentations à l’âge classique ; retrouver la nécessité d’un pli anthropologique à l’époque moderne. Le passage d’une configuration (épistémè) à l’autre s’opère de manière brusque, massive, énigmatique : ainsi, de l’histoire naturelle on passe à une nouvelle configuration, celle des sciences de la vie. « L’homme », avec l’insistance de son vécu, ses prétentions au sens, n’est donc pas exactement dissous dans le texte de Foucault : il est donné à penser au contraire comme consistance, mais une consistance transitoire des savoirs, apparue avec l’effacement du prestige de la représentation classique (dont Foucault retrouve la logique dans la description des Ménines de Velázquez qui ouvre le livre) et s’effritant avec la montée en puissance de l’évidence nouvelle que « tout est langage ». L’homme n’aura été, dans l’histoire longue de la pensée, qu’une manière datée d’ordonner les connaissances, de déployer le jeu des savoirs. Et les « sciences humaines » ne sont jamais qu’un tissage fragile de concepts comblant le vide creusé par la disposition moderne des savoirs entre une philosophie de la finitude humaine et les sciences positives de la vie, du travail et du langage.

L’annonce d’une « mort » prochaine et programmée de l’homme fait le succès du livre : le premier tirage est épuisé en un mois, près de 15 000 exemplaires seront vendus dans les six mois suivants. Foucault est pris dans le vertige du succès, et bientôt les affres de la polémique. Il est accusé par Sartre de constituer « le dernier rempart de la bourgeoisie » : en proposant la description d’épistémès se succédant comme des blocs anonymes et glacés d’historicité théorique, Foucault aurait refusé de penser les conditions de transformation de l’histoire concrète des hommes. Celui-ci se défend, dénonce les hypocrisies et les apories de l’humanisme – de l’humanisme marxiste incapable de reconnaître les terreurs du communisme soviétique, de l’humanisme phénoménologique incapable de sortir des ambiguïtés théoriques d’un « vécu » tout à la fois transcendantal et empirique. Mais il comprend en même temps que la prise en compte dans son livre du seul niveau des discours engendre d’indépassables malentendus qu’il tentera de dépasser en étudiant, dans les années 1970, la généalogie des pouvoirs.

— Frédéric GROS

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Écrit par

  • : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

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Pour citer cet article

Frédéric GROS. LES MOTS ET LES CHOSES (M. Foucault) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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