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SPILLIAERT LÉON (1881-1946)

Une réalité carnavalesque

Départ, une encre de Chine avec pinceau et aquarelle – une technique qu'affectionne l'artiste –, montre une demi-lune d'eau sous un ciel très bas, des pas sur le sable conduisent à l'eau, au point de départ un reflets sur une canne, au sol une redingote en tapon, le baigneur est parti pour le Styx. Le Dernier Regard est composé de trois plans, un ciel toujours très bas, l'eau peut-être et une manière de grève où est plantée la potence ; le regard est bien vivant et fixe, derrière on aperçoit le pantalon et la chemise du bourreau dont un bras s'élève tandis que l'autre forme une anse qui se referme avec le poing sur la hanche. Un amateur de procédés littéraires reconnaîtra là une métalepse : le moment choisi par le peintre renvoie à l'instant fatal qui a précédé ou qui va suivre, et à l'évincement du présent.

Dans le carnaval des figures qui défilent dans ses dessins, Le Gnome (1901) n'est pas moins difforme que Le Capitaliste (1902) qui tient de la fée Carabosse et du président à mortier. Mademoiselle Blanche (1901-1903), plus tenancière que pensionnaire, attend visiblement quelque créature masculine disposée aux amours vénales, tout comme Le Greluchon (1901-1903). La Proposition (1901-1903) suinte nuitamment dans l'oreille d'un barbon. L'éros ne va jamais sans la même morbidité qui se dégage du célèbre roman symboliste belge, Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach. Les Gendarmes sont du cortège et ils traînent par terre un suspect menotté dans la grande tradition du métier. Le demi-monde en goguette, plus les argousins et les mouchards : Walter Benjamin reconnaissait dans cette faune composite d'éléments litigieux, qui serpente dans la rue de L'Entrée du Christ à Bruxelles (Ensor), le milieu incubateur qui précède l'arrivée du fascisme.

<em>La Buveuse d’absinthe</em>, L. Spilliaert - crédits : steeve-x-art/ Alamy/ Hemis

La Buveuse d’absinthe, L. Spilliaert

On est saisi par le caractère particulier du symbole chez Spilliaert. En principe, le symbole marque la plénitude du sens retrouvé, il est donc le contraire de l'allégorie qui réinsuffle un sens à des fragments dispersés, à des corps morts. Or le symbole chez Spilliaert, loin d'être consistance restaurée, vie considérée dans sa plénitude, se révèle platitude oppressante, et l'apparition, le mirage ne possède en rien le charme de la magie d'Orient. Tout au contraire d'une cascade d'enchantements, c'est la persévérance du malaise, de l'angoisse, que le symbole exclut en principe, qui prédomine. Le sens fuit, absorbé par le miroir, par le tourbillon. Dans un superbe autoportrait, une de ses œuvres les plus connues, L'Autoportrait à la lune (1908, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Ostende), l'œil de l'artiste semble s'échapper de son orbite.

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Pour citer cet article

Jean-François POIRIER. SPILLIAERT LÉON (1881-1946) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2009

Média

<em>La Buveuse d’absinthe</em>, L. Spilliaert - crédits : steeve-x-art/ Alamy/ Hemis

La Buveuse d’absinthe, L. Spilliaert