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LE DOSSIER VERCINGÉTORIX (C. Goudineau)

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« Vercingétorix pour l'histoire a vécu moins d'une année. » Malgré ce constat, Camille Jullian avait consacré, en 1901, un ouvrage copieux et magistral au général gaulois. Christian Goudineau, lointain successeur de Jullian à la chaire d'Antiquités nationales du Collège de France, nous a livré avec Le Dossier Vercingétorix (Actes Sud-Errance, 2001) le fruit d'un projet longtemps mûri : montrer à quel point, en un siècle, l'opinion des historiens a pu changer. Le livre de Christian Goudineau est en tous points dissemblable de celui de Jullian. La première partie s'efforce de démonter le mythe de Vercingétorix – Jullian n'était d'ailleurs pas le dernier à y avoir contribué. La seconde réexamine le maigre dossier des sources historiques et brosse à grands traits, grâce aux apports de l'archéologie, un tableau de la Gaule de l'époque de Vercingétorix.

La première partie du livre est décapante. Par de larges extraits des auteurs modernes, l'auteur explique comment Vercingétorix émerge dans l'historiographie au début du xixe siècle seulement, dans le sillage de la montée de l'intérêt pour le passé « celtique » et pour l'histoire préromaine, en remettant en avant des historiens aujourd'hui oubliés, comme Amédée Thierry, moins célèbre que son frère Augustin, ou Henri Martin. Cette œuvre de redécouverte du xixe siècle culmine avec les deux livres de Jullian, Vercingétorix et surtout l'Histoire de la Gaule, volumineuse synthèse philologique d'un érudit attentif aux problèmes de son siècle, pour lequel Vercingétorix, premier unificateur de la Gaule – même si ce ne fut que pour quelques semaines –, patriote glorieux mais néanmoins vaincu à Alésia, est un symbole de la France agenouillée par la défaite de 1870. Ce rapprochement séduisant donne une certaine popularité au personnage, efficacement relayée par les manuels d'histoire de la IIIe République. La défaite de 1940 ne fera qu'entretenir le cliché.

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Goudineau montre qu'en réalité Vercingétorix n'a pas été considéré comme une figure historique de premier plan par les auteurs de l'Antiquité. Il est principalement connu par le témoignage de César, son adversaire, dont l'exposé certes précis des événements dans La Guerre des Gaules, mais trop concis et enveloppé d'un discours propagandiste avantageux pour son auteur, laisse la place à suffisamment d'interrogations pour favoriser, dès l'Antiquité, l'imagination des historiens. Ainsi, le célèbre épisode de la reddition de Vercingétorix, tel que nous le rapporte Plutarque et que l'ont peint de façon très évocatrice quelques contemporains de Jullian (comme Lionel Royer ou Henri-Paul Motte), est certainement le fruit d'une lecture trop hâtive de César. L'événement a dû se dérouler de façon bien plus pitoyable pour notre héros. Restent néanmoins beaucoup de zones d'ombre. Ainsi, Christian Goudineau se demande si l'amitié ancienne entre César et Vercingétorix, évoquée par une brève allusion de Dion Cassius, ne peut pas indiquer que le chef gaulois, comme bien des compatriotes, a servi comme auxiliaire de l'armée romaine, en Gaule ou lors de campagnes militaires plus anciennes : une hypothèse qui aurait paru fort provocatrice à Jullian !

La seconde partie de l'ouvrage se penche sur les pièces véritablement probantes du dossier : une poignée de textes antiques et, surtout, une masse de données archéologiques. Car c'est bien sur ce dernier point, abordé sous une forme peu académique – celle d'entretiens avec des spécialistes – que le dossier a véritablement évolué depuis l'époque de Jullian. Dans son Histoire de la Gaule, ce dernier ne prend presque pas en compte les apports de cette discipline, certes nouvelle, mais qui avait déjà acquis des résultats substantiels depuis l'époque du second Empire. La première synthèse d'archéologie gauloise a en fait mûri dans les mêmes années du début du xxe siècle, mais dans la tête d'un autre savant, Joseph Déchelette. L'archéologie ne pallie en rien la concision des sources écrites sur le personnage lui-même, mais elle corrobore le témoignage de César sur la localisation et l'ampleur des principales batailles de la guerre des Gaules – notamment Alésia, dont plus personne ne doute sérieusement de l'emplacement. Surtout, elle nous dévoile de multiples aspects du contexte historique dans lequel Vercingétorix a évolué. Les observations très nombreuses des archéologues, notamment au cours du dernier quart du xxe siècle, bouleversent l'image traditionnelle de la civilisation gauloise, fondée sur des sources grecques et latines toujours condescendantes. Voilà une civilisation en plein développement démographique, à l'économie florissante, qui utilise par exemple l'instrument monétaire avec autant d'efficacité que le monde romain – si ce n'est plus –, dotée de cadres politiques et religieux très structurés (mais à l'échelle régionale seulement) et qui expérimente un modèle original de développement urbain à l'époque où les troupes romaines entrent en Gaule.

Somme toute, Christian Goudineau nous invite à relativiser l'importance du plus ancien héros national français, en considérant, avec plus de sang-froid que les philologues des deux siècles passés, un modeste corpus de sources historiques et en enrichissant le dossier d'une somme de données nouvelles issues des observations des archéologues. Mais, son livre est aussi – comme il l'indique fort justement lui-même – une réflexion sur « la manière dont l'histoire crée ses héros ».

— Vincent GUICHARD

Bibliographie

C. Jullian, Vercingétorix, Hachette, Paris, 1901 (rééd. Taillandier, Paris, 1977).

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Écrit par

  • : directeur de la recherche au Centre d'archéologie européen du Mont-Beuvray

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