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LA TERRE VAINE, T. S. Eliot Fiche de lecture

L'invention d'un lyrisme moderne

Seule la conversion à l'anglo-catholicisme, qui interviendra en 1927, permettra à T. S. Eliot d'envisager le destin de la civilisation autrement qu'en fonction de la Cité temporelle, forcément « irréelle » et spectrale. Avec les Quatre Quatuors (1935-1942), il trouvera la voie qui mène à la Cité de Dieu, incarnée « Maintenant et en Angleterre ». En fondant ici la poésie sur ce qui la récuse, à savoir l'« amas d'images brisées », les « puits taris », les « citernes vides », Eliot redonne droit de cité au lyrisme, fût-il travesti ou parodique. « De ces fragments », il étaye ses « ruines », aussi : son mariage était en crise, et lui-même souffrait de troubles psychiques. Surtout, il organise en un maillage serré d'allusions littéraires, d'échos et de parallèles, le cauchemar de l'histoire contemporaine : « Cité fantôme/ Sous le fauve brouillard d'une aurore hivernale :/ La foule s'écoulait sur le pont de Londres : tant de gens.../ Qui eût dit que la mort eût défait tant de gens ? » Par le truchement du devin Tirésias, figure centrale du poème, triomphe le principe du « corrélat objectif ». En lui s'unissent genre masculin et féminin, voyance et voyeurisme, détachement et compassion, vision et cécité, passé et présent, morts et vivants. La conscience inclusive de Tirésias fédère également les polarités du poème : le printemps et l'hiver, l'amour en déshérence et la sexualité qui dégoûte, la rocaille et la pluie, la jeunesse et la vieillesse, l'eau féminine et le feu masculin. À la faveur de contrepoints autant musicaux que dramatiques, les figures héroïques – comme la Cléopâtre de Shakespeare – glissent de leur piédestal, pour révéler la crudité de la condition humaine dépouillée de ses oripeaux.

Faire de la La Terre vaine une œuvre seulement mimétique, reflet d'un monde en lambeaux, serait réduire l'ambition artistique de T.S. Eliot, pour qui le poète, au risque assumé de l'obscurité, « doit devenir de plus en plus complexe, plus allusif, plus indirect, afin de forcer et au besoin de disloquer le langage pour lui donner le sens qui lui convient. »

— Marc PORÉE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Marc PORÉE. LA TERRE VAINE, T. S. Eliot - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

T. S. Eliot - crédits : Bettmann/ Getty Images

T. S. Eliot

Autres références

  • ELIOT THOMAS STEARNS (1888-1965)

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 4 226 mots
    • 2 médias
    Puis ce fut l'impact du Waste Land. La quête se fait plus âpre, plus angoissée. Ce long poème (430 vers), difficile, est loin d'avoir livré tous ses secrets. Il plonge ses racines dans le passé fabuleux d'où surgissent les mythes, légende du Graal, cultes païens de la végétation qui prennent valeur...
  • FRAZER JAMES GEORGE (1854-1941)

    • Écrit par Nicole BELMONT
    • 3 470 mots
    ...Ezra Pound, William Butler Yeats, James Joyce, David Herbert Lawrence, y ont puisé l'idée que la nature humaine comporte un verso mystérieux et sombre. Thomas Stearns Eliot reconnaissait sa dette envers Frazer dans les notes pour The Waste Land (1921-1922) : « Je suis [...] redevable, d'une manière générale,...

Voir aussi