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LA FIN DES CORPORATIONS (S. L. Kaplan)

Sous l'Ancien Régime, des pans entiers de l'artisanat et du commerce urbains étaient organisés en communautés d'arts et métiers. Ces dernières, aussi dénommées corporations à partir du xviiie siècle, étaient vouées à l'exercice d'une activité – la boucherie, la cordonnerie, l'orfèvrerie, etc. – et dotées de statuts reconnus par l'autorité publique, qui leur garantissaient le monopole de l'activité dans tout ou partie de la ville. Fondées sur la tripartition maîtres-compagnons-apprentis, les corporations étaient gérées par les maîtres et poursuivaient des objectifs variés, tels que la défense des intérêts du métier, la surveillance des compagnons ou encore l'élimination des concurrents non incorporés.

Entre les débuts du règne de Louis XVI et les premières années de la Révolution, quatre lois fondamentales affectent les corporations : en février 1776, les communautés d'arts et métiers sont supprimées par Turgot, ministre libéral hostile au principe du monopole ; en août 1776, des communautés sont recréées dans la capitale par son successeur, prélude à une renaissance dans d'autres villes du royaume ; en mars 1791, les corporations sont abolies par la loi d'Allarde, qui institue la patente ; en juin 1791, la suppression de toute coalition de citoyens de même profession est réaffirmée par la loi Le Chapelier, dont le but est d'interdire les associations ouvrières. En une quinzaine d'années, la France voit donc disparaître les corporations. C'est le récit de cette agonie mouvementée que Steven L. Kaplan livre dans un ouvrage très dense, La Fin des corporations (Fayard, Paris, 2001). Les analyses de l'historien américain, toujours stimulantes, sont particulièrement neuves sur les trois questions suivantes : la nature du corporatisme recréé en 1776, l'attitude des révolutionnaires à l'égard des corporations, la situation des ex-maîtres et compagnons dans le paysage politique d'après 1791.

Alors que la législation d'août 1776 est souvent assimilée à une régression, S. Kaplan rappelle avec force que la recréation des communautés consécutive à la chute de Turgot n'est pas une restauration à l'identique, mais une reconfiguration : les autorités veulent bâtir un nouveau corporatisme. Parce que la critique libérale porte en partie sur les modalités d'accession à la maîtrise, accusées d'être régies par le népotisme et la corruption, le gouvernement veut offrir à tous la possibilité d'intégrer une communauté, en échange d'une somme fixée par l'État. Au-delà de cette remise en perspective, S. Kaplan a le mérite d'étudier ce nouveau corporatisme, que les historiens n'ont jamais décrit en détail, soit parce qu'ils n'en ont pas perçu l'originalité, soit parce qu'ils l'ont considéré comme une éphémère parenthèse. On découvre ainsi que le gouvernement royal ne parvient pas à étendre sa réforme à toutes les provinces et que, là où elle entre en vigueur, elle est souvent mal accueillie par les intéressés. De plus, elle n'améliore pas la cohésion des communautés, déjà en proie, dans le passé, à des divisions internes. Enfin, si elle ouvre sans doute un peu le recrutement des maîtres, les corps parviennent néanmoins à maintenir des formes de sélection, de même qu'ils reprennent leur guérilla contre leurs concurrents demeurés en marge du système corporatif. En définitive, S. Kaplan suggère que, en 1789, le nouveau corporatisme ne s'est pas enraciné. L'incompréhension entre la monarchie et les corporations semble totale, excepté sur un point : la nécessité de rétablir l'autorité des maîtres sur les compagnons, de plus en plus contestataires.

S. Kaplan montre que, malgré les idées reçues, les hommes de 1789[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Paris-Sorbonne (Paris-IV)

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Pour citer cet article

Reynald ABAD. LA FIN DES CORPORATIONS (S. L. Kaplan) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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