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L'ÉTRANGE CAS DU DOCTEUR JEKYLL ET DE M. HYDE, Robert Louis Stevenson Fiche de lecture

Soi comme un autre

Mêlant satire sociale et allégorie morale sur la lutte éternelle du bien et du mal, L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde peut en effet se lire comme une réflexion sur l'écriture, et plus précisément sur le destin testamentaire de la littérature. Les deux récits trouvés dans le bureau du docteur Jekyll, où gît le cadavre d'Edward Hyde, livrent la clé du mystère, en même temps qu'ils expriment les dernières volontés de leurs auteurs. Occupant toute la fin de l'ouvrage, les écrits ont le dernier mot et parlent par-delà une mort qu'ils anticipent. Commencée à la première personne, mais parasitée par la montée en puissance d'une envahissante troisième personne, la confession du docteur Jekyll survit à son suicide. Elle complète a posteriori les pièces manquantes du puzzle, et revient sur la genèse de sa double personnalité, tout en faisant de la matérialité de ces lettres penchées dans un sens ou dans l'autre, suivant l'identité de celui qui tient la plume, le miroir fidèle de la présence en soi d'une inquiétante altérité : « je » est bel et bien un « autre ». Un autre à la fois diabolisé, – comme l'exigent encore les conventions de l'époque –, et ancré dans un état inorganique de l'être, en deçà de toute articulation langagière, là où l'humain est renvoyé à l'horreur absolue de la chose sans nom, destin que la littérature moderne tente désespérément de conjurer. Avec d'autres récits fantastiques de la même veine, comme le très contemporain Horla (1886-1887) de Guy de Maupassant (1850-1893), L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde contribue à ébranler un peu plus la « forteresse de l'identité ». Il annonce certaines des découvertes auxquelles Freud, qui ouvre son cabinet dans les mêmes années, attachera son nom : « D'autres me suivront, d'autres me dépasseront dans cette voie, et j'ose avancer qu'on finira par considérer l'homme comme une véritable confédération de citoyens bigarrés, hétérogènes et autonomes. »

Notons que, la même année, paraît Enlevé ! (1886), qui consacre dans la réalité de sa pratique le dédoublement de l'écrivain. Avec ce premier roman écossais, Robert Louis Stevenson revient en effet à la veine adolescente du roman d'aventure, avant de mettre à nouveau en scène la problématique de la gémellité dans Le Maître de Ballantrae (1889), de la façon la plus adulte qui soit. L'œuvre de Stevenson a inspiré de nombreuses adaptations et parodies. Mentionnons notamment Docteur Jekyll et M. Hyde (1932) de Rouben Mamoulian, et Docteur Jerry et Mister Love (1963), de et avec Jerry Lewis.

— Marc PORÉE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Marc PORÉE. L'ÉTRANGE CAS DU DOCTEUR JEKYLL ET DE M. HYDE, Robert Louis Stevenson - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Robert Louis Stevenson - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Robert Louis Stevenson

Autres références

  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

    • Écrit par Gilles MENEGALDO
    • 6 313 mots
    • 5 médias
    L'Angleterre victorienne n'a pas renié, malgré l'orientation réaliste de sa littérature, la tradition gothique. Il y a dans WutheringHeights (1847) d’Emily Brontë des doigts glacés qui cognent aux vitres, une lande sinistre et un héros noir byronien (Heathcliff) ; dans Jane...

Voir aussi