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KIESLOWSKI KRZYSZTOF (1941-1996)

Une quête de vérité

La Double Vie de Véronique (1991) et Trois Couleurs. Bleu/Blanc/Rouge (1993-1994) comptent parmi les rares réussites de la coproduction européenne qui demeurent authentiquement personnelles. Le premier film explore les liens invisibles entre deux personnalités, l'une française, Véronique, l'autre polonaise, Weronika, qui ne se connaissent pas, se croisent à peine, mais communiquent de façon mystérieuse après la mort de la Polonaise. L'explication psychologique et rationnelle des signes que semble envoyer la disparue à la survivante ne dissipe pas le mystère d'une attirance qui se situe au-delà du naturel, au-delà du corps, dans le jeu des correspondances qui obsèdent longtemps le spectateur. La personnalité d'Irène Jacob dans ce double rôle s'intègre parfaitement à l'œuvre à la fois la plus abstraite de Kieslowski et la plus concrète, où tant la musique que la splendeur des images de l'opérateur Slamowir Idziak se révèlent essentielles.

La trilogie des couleurs entretient avec les principes de la devise révolutionnaire « Liberté, Égalité, Fraternité », des rapports du même type que le Décalogue avec la loi divine. Plus nettement, elle ouvre des perspectives morales et humaines positives. Certes, le réalisateur ne manque pas de jouer de l'antinomie. Interprétée par Juliette Binoche, l'héroïne de l'épisode français, Trois Couleurs Bleu, éprouve le poids du destin et l'absence de liberté à la mort de son mari, avant de trouver une forme de sérénité dans une liberté intérieure pleinement assumée. L'épisode polonais, Trois Couleurs Blanc, décrit des personnages pris dans un réseau de meurtres, de chantage, d'amours déçues, qui débouche pourtant sur une relation conjugale faussement brisée pour en éprouver enfin la solidité, par-delà les barreaux de la prison. Quant à la fraternité, elle est mise à rude épreuve dans l'épisode suisse, où les moyens de communication, du téléphone au ferry-boat, en passant par la télévision, sont pourtant largement présents. « The medium is the message », disait autrefois Marshall McLuhan. C'est devenu la réalité de Rouge, et de notre monde : communiquer remplace l'émotion, l'amour réellement vécu, la « fraternité ». Entre la pureté qui habite l'héroïne, de nouveau interprétée par Irène Jacob, et le choc de la mort, demeure un espace de vie, ultime « message » du cinéaste, pour qui le cinéma n'est pas seulement un médium.

Mort le 13 mars 1996, Krzysztof Kieslowski, qui avait annoncé son renoncement au cinéma, laisse une œuvre dont la richesse est loin d'être épuisée et un exemple d'exigence morale qu'il résumait ainsi : « Présenter des choses qui perdent leur sens habituel, deviennent douteuses, ce n'est pas ma conception du cinéma, car je n'en ai pas, mais c'est ma conception de la vie. »

— Joël MAGNY

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. KIESLOWSKI KRZYSZTOF (1941-1996) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LE DÉCALOGUE, film de Krzysztof Kieslowski

    • Écrit par Kristian FEIGELSON
    • 1 084 mots

    Krzysztof Kieslowski (1941-1996), diplômé de l'école de cinéma de Lódz, entame une carrière de cinéaste en Pologne vers la fin des années 1970. Il réalise une vingtaine de courts-métrages, essentiellement des documentaires pour la télévision : Le Tramway (Tramwaj, 1966), L'Usine...

  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Michel CHION
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....

Voir aussi