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MUNK KAJ (1898-1944)

Rien n'est plus paradoxal que la destinée de ce pasteur danois, originaire de Maribo, en Lolland, qui fut si marqué par la Première Guerre mondiale et ses suites immédiates qu'il rompit en lisière avec les idéaux qu'il était censé prêcher, accusa la démocratie de tous les crimes de l'humanité et se voua sans vergogne au culte de la force et à l'exaltation du héros. Ce déséquilibre était propice à l'exercice d'un talent théâtral inné : c'est bien sur la scène danoise qu'il va renouveler avec ses contemporains Kjeld Abell et Soya, et que Munk fit jouer de nombreuses pièces dont toutes, à commencer par la première, Un idéaliste (1924), naissent du même déséquilibre fondamental. L'idéaliste, ou plutôt l'homme qui a une idée fixe, c'est Hérode qui ne recule devant aucun moyen, y compris l'assassinat de la reine, pour garder sa couronne. Il comprendra son erreur en voyant l'Enfant Jésus dans les bras de Marie. Cette lutte entre vocation et instinct, chair et esprit, cette monomanie dévastatrice et ce culte du héros expliqueront la dangereuse admiration de Munk pour le nazisme (et plus exactement pour Hitler), antisémitisme exclu, toutefois. Jusqu'au jour où, après le 9 avril 1940, date de l'invasion allemande du Danemark, Munk comprend son erreur et entre alors, avec une ardeur égale, dans la Résistance. Cette fois, le balancier l'entraîne dans la direction opposée, et c'est à l'anti-héros que s'intéresse un chef-d'œuvre comme L'Expédition de Canna (1943) où le tyran Hannibal est fustigé par le politicien Fabius. Cela se double de violentes attaques contre l'Allemagne. Pris par la Gestapo, l'écrivain sera finalement assassiné lâchement au bord de la grand-route.

Munk a renouvelé le drame historique, dans la grande tradition de Shakespeare et de Schiller (Les Élus, 1933, à propos de David). Il a su créer, autour du thème du miracle en milieu piétiste, une atmosphère mystique d'une insoutenable intensité dans Le Verbe (Ordet, 1932, magistralement porté à l'écran par Dreyer). Son prosélytisme et sa fougue ne doivent pourtant pas abuser : sa profondeur et sa force de conviction viennent de ce qu'il portait en lui le conflit qu'il n'a cessé de projeter sur scène. Témoin L'Amour (1935), où le héros est un pasteur militant qui souffre en secret de son athéisme inavouable.

— Régis BOYER

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. MUNK KAJ (1898-1944) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • DANEMARK

    • Écrit par Marc AUCHET, Frederik Julius BILLESKOV-JANSEN, Jean Maurice BIZIÈRE, Régis BOYER, Georges CHABOT, Universalis, Lucien MUSSET, Claude NORDMANN
    • 19 519 mots
    • 14 médias
    ...fantastique, registres rares en ce pays. Au théâtre, l'inspiration passe de l'expressionnisme expérimental au grand drame shakespearien. Le pasteur luthérien Kaj Munk (1898-1944, Le Verbe) met en scène les passions d'un monde partagé entre la démocratie et la dictature. Il a renouvelé le théâtre nordique, avec...
  • ORDET, film de Carl Theodor Dreyer

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 1 026 mots
    ...ambiguë. Ordet est l'un des rares films montrant un miracle, c'est-à-dire l'intervention directe dans le monde de la puissance divine. Kaj Munk, l'auteur de la pièce était un pasteur très marqué par la lecture de Kierkegaard, et il ne fait aucun doute que la fin du drame a eu, à ses yeux,...

Voir aussi