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DOS PASSOS JOHN (1896-1970)

La machination

Le frame up, thème central de l'œuvre, Dos Passos le rend explicite dans « l'œil de la caméra ». « Oui, nous sommes deux nations », s'écrie-t-il dans une page qui reste une des plus bouleversantes de U.S.A. La mort de Sacco et de Vanzetti est l'aboutissement d'une vaste conspiration des classes possédantes : les anciennes valeurs sont utilisées aux fins du profit. Il n'en reste que la coquille vidée de toute substance. L'Amérique, terre d'accueil, terre libre, symbole de la démocratie, est devenue machine à opprimer. Tout idéal est une menace, toute défense devient attaque, toute rébellion est étouffée dans l'œuf au nom des grands principes : toute une Amérique se fait complice du « coup monté ». Reste-t-il une forme d'espoir ? Tenter sa chance aboutit à une forme d'aliénation : l'obsession du succès dénature l'homme. Chez tous les personnages de Dos Passos, la réussite masque l'échec fondamental. Un seul échappe en partie à la règle, parce qu'il se range aux côtés de la classe ouvrière : Mary French, dont les options sont celles de l'auteur. Mais, là encore, il s'agit de « l'Amérique vaincue », et le combat qui continue n'est plus qu'un « baroud d'honneur » auquel Dos Passos ne croit plus. À la lutte des classes, il substitue une spécificité américaine et se qualifie d'« exceptionnaliste ». Comme Veblen, auquel il consacre une biographie, il souffre « d'une incapacité congénitale à dire : oui ».

Parce qu'il a lu Marx et Lénine et qu'il s'engage personnellement dans la lutte aux côtés des plus défavorisés, Dos Passos a été parfois considéré comme un écrivain marxiste. Il apparaît en fait beaucoup plus comme un nostalgique du vieil idéal jeffersonien, revu et corrigé par Veblen. Peintre et témoin de l'échec individuel et collectif – dont il rend responsable la dégénérescence du mythe américain – Dos Passos semble fondamentalement porté vers une finalité d'ordre métaphysique et moral de la destinée humaine. La méfiance toute anglo-saxone qu'il exprime en filigrane à l'égard des transformations sociales fondées sur la lutte des classes explique sans doute sa volte-face politique et son retour au consensus de l'ordre établi.

La lecture de U.S.A. laisse l'image d'une Amérique face à un problème sans solution. Pour Dos Passos, la crainte qu'exprimaient naguère Emerson et Thoreau, Whitman et Twain est en train de se vérifier : l'Amérique pourrait bien payer de son âme le prix du succès matériel.

— Jeanine PAROT

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, maître assistante à l'université de Paris-VII

Classification

Pour citer cet article

Jeanine PAROT. DOS PASSOS JOHN (1896-1970) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

John Dos Passos - crédits : Bettmann/ Getty Images

John Dos Passos

Autres références

  • MANHATTAN TRANSFER, John Dos Passos - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel FABRE
    • 901 mots

    Deuxième roman de John Dos Passos (1896-1970), Manhattan Transfer attira l'attention par ses innovations stylistiques et ses évocations impressionnistes ou naturalistes de la ville moderne. Le titre du livre renvoie à la gare de triage de New York et c'est bien la moderne monstrueuse et fascinante...

  • SIMULTANÉISME, littérature

    • Écrit par Véronique KLAUBER
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    La « vision multiple et totale de l'Individuel, du Collectif, de l'Humain et de l'Universel » débouche sur le chant polyphonique d'une nouvelle poésie dont le programme fut élaboré par Henri-Martin Barzun : son « dramatisme » (devenu simultanéisme par la suite)...

Voir aussi