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CAIRNCROSS JOHN (1913-1995)

Issu de l'élite sociale britannique, John Cairncross fit ses études à Cambridge, où il rencontra, dans les années 1930, d'autres jeunes gens révoltés par la société même qui leur servait de tremplin, et quelque peu rapprochés souvent par une homosexualité qui n'empêcha pas plusieurs d'entre eux de mener une vie sexuelle complexe ; Cairncross lui-même avait épousé, peu avant sa mort, celle qui était sa compagne depuis plusieurs années.

Kim Philby, Guy Burgess, Donald MacLean et Anthony Blunt constituèrent avec lui le groupe dit « de Cambridge ». Leur révolte était alimentée par la sympathie fiévreuse avec laquelle, à gauche, bien des intellectuels et penseurs britanniques connus, de George Bernard Shaw à Sidney Webb et George Orwell, appréciaient alors les progrès de la Russie stalinienne, accueillant et propageant des images paradisiaques du monde communiste et opposant le « camp du progrès » à la « pieuvre des fascismes ». Pour Cairncross comme pour ses amis, le passage à l'espionnage au bénéfice de l'U.R.S.S. s'est fait sous le signe de l'idéologie, et non pas du seul appât de l'argent.

La découverte de l'existence de « taupes » à des rangs élevés dans la diplomatie et le contre-espionnage britanniques, qui a alimenté en grande partie l'œuvre romancée de John Le Carré, joue dès les années 1950 contre Burgess et MacLean, contraints de fuir à Moscou, puis au début des années 1960 contre Philby, qui finira ses jours dans la capitale soviétique avec le grade de colonel du K.G.B. Plus tardive fut la révélation – elle date de la fin des années 1970 – du nom du grand critique d'art Anthony Blunt, pourtant démasqué par les autorités dès 1964. Dans les années 1980, les imaginations se mobilisèrent pour découvrir le nom du « numéro cinq » de l'organisation, et les affirmations les plus fantaisistes proliférèrent.

John Cairncross, exilé volontaire, en particulier en France, et sans plus de liens avec les administrations de son pays depuis la fin des années 1950, ne fut pourtant identifié qu'en 1991, grâce aux révélations d'un transfuge soviétique. Ses actes d'espionnage connus concernent surtout la période de la guerre et de l'immédiat après-guerre : il aurait communiqué alors à Moscou des informations que son activité au service du chiffre lui permettait d'obtenir sur les mouvements de l'armée allemande, sur ses plans de campagne dans les Balkans en 1941 et dans les régions soviétiques envahies en 1943 ; il eut évidemment pour lui l'excuse de vouloir aider un pays de fait menacé par Hitler et, à partir de juin-juillet 1941, allié de la Grande-Bretagne. Entre 1945 et 1948, ses informations semblent avoir pris davantage une tournure « économique », il aurait en particulier fait passer à Moscou des données sur les projets américains d'assistance économique à l'Europe et nourri le dossier de l'opposition de Staline à l'extension du plan Marshall aux pays du continent sous domination soviétique.

L'étendue réelle de son activité a suscité évidemment quelques interrogations. Quoi qu'il en soit, l'exemple de Cairncross ne manque pas de renforcer les préventions des adversaires d'un establishment capable de sécréter de brillantes individualités, détachées des valeurs ordinaires, dont le patriotisme. De retour en Grande-Bretagne au printemps de 1995, il rédige des Mémoires qui furent publiés à titre posthume.

— Roland MARX

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Roland MARX. CAIRNCROSS JOHN (1913-1995) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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