VILLÉGIER JEAN-MARIE (1937-2024)

Né le 4 juillet 1937 à Orléans, élève de l'École normale supérieure, Jean-Marie Villégier fait partie au début des années 1960, avec François Regnault, du groupe de la rue d'Ulm, qui participe aux rencontres organisées par Louis Althusser, avec Bernard Dort, autour de la révolution brechtienne et de l'idée d'un théâtre compris comme objet philosophique.

Ce n'est qu'assez tardivement que Jean-Marie Villégier se consacre à la mise en scène : La Tentation de saint Antoine, d'après Flaubert, en 1974, après deux spectacles en collaboration avec Marcel Bozonnet, Léonce et Léna de Büchner (1969), et Héraclius de Corneille (1971). Agrégé de philosophie, il n'abandonnera l'enseignement universitaire qu'en 1985, année où il fonde sa propre compagnie, appelée l'Illustre Théâtre, en hommage à Molière.

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La scène est avant tout pour Jean-Marie Villégier le lieu d'une réflexion sur le répertoire. Il a ainsi jeté son dévolu sur la période préclassique française. L'emblème de sa recherche est Corneille, en qui il décèle le paradoxe d'être le plus célébré et le plus ignoré des auteurs français. La démarche de Jean-Marie Villégier vise donc à exhumer tout un pan occulté de notre passé théâtral, très marqué d'ailleurs par le contact avec la culture italienne ou espagnole, à réévaluer la hiérarchie nationale fixée par la Comédie-Française lors de sa création par Louis XIV en 1680, puis par les manuels scolaires de la IIIe République. On lui doit donc d'avoir remis à la scène Sophonisbe de Corneille, par trois fois (entre 1980 et 1996), ou des auteurs de moindre renommée comme Mairet (Les Galanteries du duc d'Ossonne, 1987), Larivey (Le Fidèle, 1989), Tristan L'Hermite (La Mort de Sénèque, 1984), Rotrou (Cosroès, 1996) ou Lambert, dont il met en scène en 1992 La Magie sans la magie, datant de 1660.

Jean-Marie Villégier ne néglige pas pour autant les pièces plus souvent représentées, telles que Le Malade imaginaire (1990) et Le Tartuffe (1999) de Molière, Phèdre de Racine, jouée en 1992 avec les élèves du Théâtre national de Strasbourg (TNS), Le Menteur (1995) ou L'Illusion comique (1996) de Corneille. De même, il se permet des incursions en dehors du Grand Siècle : il aborde Robert Garnier ou Marivaux, donne en personne des lectures du Drame de la vie de Restif de La Bretonne (1988), ressuscite l'œuvre du librettiste Favart (La Répétition interrompue et La Fée Urgèle, qu'il met en scène en 1991 à l'Opéra-Comique).

<em>Atys</em>, J.-B. Lully, mise en scène de J.-M. Villégier - crédits : Pierre Grosbois/ Opéra-Comique

Atys, J.-B. Lully, mise en scène de J.-M. Villégier

Sa collaboration avec l’ensemble des Arts florissants, dirigé par William Christie, s'inscrit encore dans le répertoire baroque, prolongeant avec l'opéra, la tragédie lyrique, son exploration du xviie siècle (Atys, de Lully, en 1987, qui remporte un succès considérable et consacre l'engouement pour la musique baroque ; Médée, de Marc-Antoine Charpentier, en 1993), poussant là aussi jusqu'au siècle suivant (Hippolyte et Aricie, de Rameau, en 1996).

Si Villégier attache une grande importance à la diction, à la déclamation, en réaction à la « psychologisation » du texte, si Patrice Cauchetier, son costumier attitré, s'inspire directement des gravures et des techniques d'époque, on ne saurait réduire cette démarche à celle d'un théâtre « d'archives », visant à l'impossible restitution des conditions de jeu du siècle de Louis XIV. En matière de décors notamment, Villégier ne dédaigne pas le symbole, la double signification : l'ossature d'un théâtre posée au milieu de nulle part pour L'Illusion comique ; une voûte en verdure, réalisée par le décorateur Csaba Antal pour La Magie sans la magie de Lambert, évoquant aussi bien la clôture de la tonnelle que l'ouverture vers l'infini de l'observatoire.

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Par ailleurs, s'il récuse la notion de « discours » tenu sur l'œuvre par une mise en scène, il aime à éclairer celle-ci d'un jour nouveau. Ainsi, sa version du Malade imaginaire, tenant compte de la partition musicale dans son intégralité et de la totalité des ballets écrits pour l'occasion, ne relève pas de la gratuité ni du caprice de puriste : on y découvre une opposition entre la classe bourgeoise, fermée sur elle-même, et les divertissements de la cour, à tel point que la première semble malade des fastueux excès de la seconde. C'est bien d'une recherche sur les éléments originaux de la représentation que peut naître ici un approfondissement du sens.

De 1990 à 1993, Jean-Marie Villégier dirige le TNS et son école. Au terme de son premier mandat, la situation est dans l'impasse. La structure du TNS met à sa disposition une troupe, condition sine qua non de son travail du répertoire, mais le ministère de la Culture juge ses orientations artistiques incompatibles avec la mission d'un centre national dramatique et ne le reconduit pas dans ses fonctions. Villégier n'en reste pas moins fidèle ensuite à son interrogation sur notre histoire du théâtre, en collaborant régulièrement avec le Théâtre national de la communauté française de Belgique et avec le théâtre de l'Athénée-Louis Jouvet. C’est là, notamment, qu’il a mis en scène Héraclius de Corneille (1995), mais aussi, avec la collaboration de Jonathan Duverger, Les Joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare (2004), L’Amour médecin et Le Sicilien ou l’Amour peintre de Molière et Lully (2005), ainsi que La Révolte de Villiers de L’Isle-Adam (2006).

À l’opéra, toujours accompagné de Jonathan Duverger, qui cosigne la mise en scène, Villégier monte Rodelinda de Haendel (1998), Béatrice et Bénédict de Berlioz (2002-2005), puis Jephtha de Haendel (2009).

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Jean-Marie Villégier est mort le 23 janvier 2024 à Brest.

— David LESCOT

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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Écrit par

  • : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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Média

<em>Atys</em>, J.-B. Lully, mise en scène de J.-M. Villégier - crédits : Pierre Grosbois/ Opéra-Comique

Atys, J.-B. Lully, mise en scène de J.-M. Villégier

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