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VRCHLICKY JAROSLAV (1853-1912)

Vrchlický est inconnu en Occident. À part les spécialistes de la littérature tchèque, qui chercherait sous ce nom de plume aux sonorités rugueuses un poète dont l'importance dans son pays a été comparée à celle de Victor Hugo en France ? Le public européen devrait pourtant être reconnaissant à l'essayiste qui s'est consacré au service de la culture européenne ; au traducteur qui s'est attaché à faire aimer par ses concitoyens les grands génies des lettres étrangères ; au poète qui a élevé son art à la hauteur d'un acte politique. Si l'on ajoute à ces images un amour mystique du nu féminin, un sens du paysage quasi oriental, l'admirable harmonie du vers, la profondeur de la pensée enfin, il semble que, malgré la double barrière de la langue et du temps, Vrchlický mérite d'être découvert.

Déterminismes et vocations

Un bourgeois lettré du xixe siècle

Entre Jaroslav Vrchlický et la génération de 1970 avec ses perspectives apocalyptiques, il y a notamment l'événement de la Première Guerre mondiale qui déclencha l'entrée de l'Europe centrale dans la modernité. Il suffit de comparer Vrchlický avec cet autre grand Tchèque de sa génération, T. G. Masaryk (1850-1937). Là où l'homme politique a construit le futur, le poète s'est contenté de le rêver, recueillant et ravivant les trésors antiques. On le situera par ses références : ni Marx ni Rimbaud, mais Darwin et Leconte de Lisle. Qui pouvait mieux que cet intellectuel libéral vivant en marge du capital, ou que ce poète dont la langue était freinée dans sa renaissance, ressentir la difficulté d'être ? Bien qu'il ne puisse la formuler autrement qu'en termes métaphysiques, il reste cependant très proche de nous.

Vrchlický, Emil Frida de son vrai nom, naît en province, à Louny. Son père tient un commerce et trois de ses oncles sont prêtres. Aussi entre-t-il au séminaire à dix-neuf ans, mais il en sort bien vite et fait à l'université des études d'histoire. La consécration de sa carrière vient en 1893, sous la forme d'une chaire de professeur d'histoire de littérature comparée, à l'université Charles de Prague. En 1879, il trouve dans le mariage le fragile bonheur de sa vie. Et ses plus beaux poèmes érotiques sont des poèmes d'amour conjugal. Il découvre le vaste monde par l'Italie au cours d'un grand voyage, en 1875-1876. Plus tard viendront la France, la Belgique, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Pologne, le Danemark : Vrchlický perpétue, à n'en pas douter, la tradition romantique du voyage.

Quant à l'œuvre, il est impossible d'en donner le détail : commençant à écrire dès le lycée, Vrchlický a produit près de soixante recueils de poèmes, quinze pièces de théâtre, des nouvelles, des essais critiques, à quoi s'ajoutent ses traductions des littératures étrangères (française, provençale, italienne, espagnole, portugaise, catalane, allemande, scandinave, anglaise, américaine, polonaise, hongroise, persane), dont le volume dépasse celui de ses œuvres originales ! Ce tendre, ce travailleur, ce serviteur de l'humanité et de la Weltliteratur connut dans ses dernières années, en même temps que la renommée, l'amertume de l'amour déçu, la douleur de la décrépitude physique et la solitude. Il mourut jeune, à Domažlice.

Un cosmopolite

Pour des compatriotes de Byron, Goethe ou Stendhal, la vocation cosmopolite d'un postromantique peut sembler évidente. Mais que l'on imagine Prague vers 1870 : la fermentation, dans toutes les classes, du sentiment national, la stratégie des Vieux-Tchèques pour arracher, sans sortir de la légalité, le maximum de concessions au pouvoir de Vienne affaibli depuis la chute du ministre A. von Bach (1859), la lutte virulente des Jeunes-Tchèques, l'attirance générale vers le pôle russe, et l'on comprendra[...]

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Écrit par

  • : assistante à l'université de Paris-IV

Classification

Pour citer cet article

Jeanne BEM. VRCHLICKY JAROSLAV (1853-1912) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • TCHÈQUE RÉPUBLIQUE

    • Écrit par Jaroslav BLAHA, Marie-Elizabeth DUCREUX, Universalis, Marie-Claude MAUREL, Vladimir PESKA
    • 18 252 mots
    • 3 médias
    ...provençales ; des thèmes légendaires, historiques, animent ses pièces, récits et romans ; Jan Maria Plohar (1891) laisse deviner son âme tourmentée. Enfin, Jaroslav Vrchlický (1853-1912) est l'un des plus grands, en tout cas le plus abondant et le plus varié des poètes tchèques. Ses Fragments d'épopée...

Voir aussi