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GRIMMELSHAUSEN HANS JAKOB CHRISTOFFEL VON (1620 env.-1676)

Portée d'une œuvre

Le premier intérêt de l'œuvre est sans conteste d'offrir un témoignage souvent exact, toujours documenté sur la guerre de Trente Ans que seul pouvait donner un homme qui avait, au moins en partie, vécu ces événements. Cette expérience personnelle jointe aux renseignements glanés çà et là, et à des lectures de toute sorte, ont permis à Grimmelshausen d'évoquer d'une manière extraordinaire, souvent truculente dans sa grossièreté, la vie de l'Allemand à l'époque baroque. Certes, Grimmelshausen déforme la réalité dans un but esthétique, mais cette réalité, êtres, animaux, paysages, coutumes (évocation de la sorcellerie), s'impose à nous avec une force exceptionnelle, celle qu'on reconnaît chez Cervantès, Rabelais, Shakespeare ou Céline.

Grimmelshausen décrit dans son œuvre les changements de partis successifs non seulement de Simplex, débauché par le monde, mais aussi des personnages chargés d'incarner la pureté morale, comme Herzbruder ; en passant du camp protestant au camp catholique et vice versa, celui-ci n'éprouve cependant aucun sentiment de trahison : tous les participants de cette guerre monstrueuse – y compris Richelieu combattant aux côtés des protestants – ont bien oublié qu'il s'agissait d'une guerre de religion. Chacun ne poursuit plus que son bien personnel : richesses, plaisirs, gloire. Comment la vision du monde de Grimmelshausen n'en serait-elle pas bouleversée ?

Comme tout homme baroque, Grimmelshausen perçoit le monde comme le lieu de mutations inexplicables et constantes. Seule est constante l'inconstance, répète-t-il tout au long de son livre. Que Grimmelshausen soit parfaitement conscient de la nature dialectique de sa pensée, les trois premières pages de l'édition originale du Simplex le prouvent abondamment. La gravure de la page de titre représente, en effet, un être fabuleux dont la partie supérieure est humaine (mélange d'attributs féminins et masculins), la partie inférieure animale. Les deux pages suivantes sont ornées d'objets divers disposés de telle sorte que ceux de droite contredisent ceux de gauche. La tension qui résulte de ces oppositions a moins pour résultat l'apparition de l'Un que la naissance du Devenir lui-même. Le changement, perçu tout d'abord comme anarchique, devient développement organique. Il semble que Grimmelshausen envisage une issue positive à cette lutte perpétuelle des contraires. Il affirme, comme les panthéistes qui l'ont précédé (Giordano Bruno, Paracelse), que l'Invisible réside toujours dans le visible et qu'il est possible à l'homme de le percevoir au sein de ce que les baroques appellent la « lumière obscure » (das finstere Licht).

Le problème de la rédemption du héros devient donc moral plutôt que religieux. La question n'est plus : « Où est le bien ? » mais : « Comment agir de telle sorte que la conception morale s'impose à l'action ? » Sur le plan purement philosophique, Grimmelshausen conclut son œuvre par une vision optimiste. En effet, sur l'île où Simplex a échoué, des marins qui viennent d'accoster mangent des prunes trouvées sur le rivage. Ces prunes les rendent fous ; ils succombent à l'illusion du monde. Ils ne retrouvent la raison qu'après avoir mangé les noyaux. Le sens de cette allégorie est clair : qui sait percevoir dans le chaos du monde le principe d'unité divine, celui-là est sauvé.

Cependant, cette rédemption du héros n'est possible qu'au prix de la condamnation du monde. Malgré ses efforts, Simplicius n'a pu la mener à bien en Allemagne. C'est pour cette raison peut-être que Grimmelshausen a choisi un personnage de fou (un Wahnsinniger et non plus un Narr) pour incarner ce Jupiter qui prédit le redressement et la purification d'une[...]

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Pour citer cet article

Michel-François DEMET. GRIMMELSHAUSEN HANS JAKOB CHRISTOFFEL VON (1620 env.-1676) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Schéma de Alt pour "Simplicissimus" - crédits : Encyclopædia Universalis France

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Autres références

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