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HAN FEIZI[HAN FEI-TSEU](env. 280-234 av. J.-C.)

Le plus grand des penseurs de l'école chinoise des Légistes, Han Feizi naquit dans la seigneurie de Han, dont le nom lui sert de patronyme. Fils de seigneur, il ne reçut pourtant jamais ni titre ni office : ses critiques répétées des mœurs politiques régnant à la cour seigneuriale lui valurent cette disgrâce. C'est en étudiant la théorie du gouvernement par la loi pénale, théorie anticonfucianiste déjà largement répandue chez les intellectuels, que le jeune Fei se prit de l'ambition de restaurer la société chinoise des Royaumes combattants, menacée par l'anarchie. Il voulait armer le pouvoir souverain d'une technique gouvernementale dont Shang Jun avait fait à Qin la preuve de l'efficacité.

Inspiré d'abord par l'ontologie taoïste, il tira cependant des leçons de la doctrine du plus célèbre des maîtres de son temps, celle de Xunzi, dont le confucianisme était fortement teinté de légisme. Il fut son élève vers ~ 250 à Chu, avec pour condisciple Li Si, le futur Premier ministre de Shi Huangdi, fondateur de l'Empire Qin.

N'ayant pas eu la chance de pouvoir s'engager dans l'action, la vie de Han Feizi semble avoir été tout entière consacrée à la réflexion. Mais, au lieu d'exposer ses vues en tenant cénacle, comme faisaient les chefs d'école dans la Chine ancienne, le solitaire de Han, parce qu'il était bègue, ne voulut donner à ses idées qu'une expression écrite. Il rédigeait en série notes et essais ; leur accumulation en a fait l'œuvre la plus volumineuse de la littérature chinoise antique. Ainsi Han Feizi peut-il être considéré comme le premier des écrivains, au sens propre du terme, de l'histoire de la Chine. C'est exclusivement par ses écrits, circulant d'un pays à l'autre, qu'il parvint, de son vivant, à la renommée. Deux de ses meilleurs essais sur les causes de la ruine de l'État tombent un jour sous les yeux de Shi Huangdi qui, à l'époque, n'était encore que roi du pays de Qin, mais faisait déjà, par ses conquêtes, figure de César. Le prince s'engoue des idées de l'écrivain au point de songer, pour se l'attacher, à hâter l'annexion du pays de Han. Le seigneur de Han s'empresse alors, pensant détourner la menace, d'envoyer Han Feizi à la cour de Qin. L'accueil réservé au nouveau venu excite la jalousie des gens en place, dont Li Si. Accusé de travailler insidieusement pour sa patrie contre les intérêts du pays dont il est l'hôte, Han Feizi est jeté en prison, puis contraint au suicide par son ancien condisciple, en ~ 234. La grâce du roi de Qin, revenu entre-temps de ses préventions, arrivera trop tard.

Les écrits de Han Feizi ont été assemblés par leur premier éditeur, Liu Xiang, en cinquante-cinq chapitres, dont beaucoup sont dans leur état actuel, d'authenticité contestée. Mis à part deux chapitres de notes commentant, de façon fort originale, certains passages du Daode jing, tous ces textes peuvent se classer en deux catégories. Les uns sont de courtes dissertations sur les conditions de l'action politique, prenant souvent le ton d'une violente diatribe contre les auteurs d'anarchie : c'est là que les thèses du légisme sont exprimées sous la forme la plus élaborée, avec une vigueur dialectique sans précédent dans la Chine antique. Les autres, prototypes du genre littéraire des lianzhu, « enfilades de perles », sont des collections de brèves anecdotes ironiquement commentées. Étudiée par le passé surtout comme modèle de style, cette œuvre a été fouillée par la critique moderne et apparaît aujourd'hui comme l'une des pierres d'angle de la grande tradition politique chinoise.

— Léon VANDERMEERSCH

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Léon VANDERMEERSCH. HAN FEIZI [HAN FEI-TSEU] (env. 280-234 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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