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GOÛT, esthétique

Pour tenter de cerner la notion de goût, on peut citer un écrivain obscur du xixe siècle, Bercot, sauvé de l'oubli par Littré pour cette réflexion : « Il faut avoir bien du goût pour échapper au goût de son époque. » Le goût, en effet, désigne, d'une part, un « don » personnel, d'autre part un phénomène collectif, l'orientation d'une société ou d'un milieu vers certaines formes d'art nettement déterminées ; c'est la faculté d'éliminer, de choisir, de créer des associations heureuses, qui naît d'une certaine intuition de la qualité, de la « saveur » des choses, parallèle en somme à celle qui s'exerce sur le plan sensoriel et... gastronomique. Dans ce dernier cas, le facteur primordial est la subtilité du palais ; en matière d'art et d'esthétique, la finesse et la qualité du goût dépendent d'abord de la sensibilité de l'œil et de l'oreille ; et, comme la sensibilité n'est pas compartimentée, l'environnement, l'ambiance, le fond sonore peuvent modifier, en l'accentuant ou en l'annihilant, l'impression ressentie devant un spectacle, un tableau, un paysage. Mais bien d'autres éléments interviennent pour développer, nuancer, personnaliser le goût : le tempérament et le milieu, l'étendue de la culture et de l'expérience visuelle. Ainsi, le goût de chaque individu est à la fois inné et perfectible, il peut être formé ou déformé, mais il reste essentiellement subjectif.

Au sens de phénomène collectif, le goût n'a pas ce caractère subjectif : il est parfois une adhésion aux préférences et aux choix de personnalités marquantes d'un milieu, plus souvent le contrecoup d'événements historiques, d'une découverte ou d'une création dans le domaine de la culture ou même de la technique. Le goût d'une époque est fréquemment une réaction contre celui de l'époque précédente. Les différentes étapes de l'histoire du goût ne sont pas les phases successives d'une évolution continue, mais recèlent en elles-mêmes leur point de départ et leur terme. Celui-ci est marqué d'abord par la création d'un style, plus ou moins éphémère et, parallèlement, par l'apparition de modes, de « manies », d'engouements, qui s'épuisent par leur excès même.

Les aspects du goût

Le goût personnel

Voltaire - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Voltaire

Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà d'adjonctions extérieures disparates et en faisant abstraction de l'opinion d'autrui. Voltaire, dans l'article de l'Encyclopédie consacré au goût, qui est, dit-il, « le sentiment des beautés et des défauts dans les arts », en décrit ainsi les caractères essentiels : « C'est un discernement prompt comme celui de la langue et du palais et qui prévient comme lui la réflexion ; il est, comme lui, sensible et voluptueux à l'égard du bon ; il rejette, comme lui, le mauvais avec soulèvement. Il est souvent, comme lui, incertain et égaré... ayant quelquefois besoin, comme lui, d'habitude pour se faire. Il ne suffit pas pour le goût de voir, de connaître la beauté d'un ouvrage ; il faut la sentir, en être touché. Il ne suffit pas de sentir, d'être touché d'une manière confuse ; il faut démêler les différentes nuances ; rien ne doit échapper à la promptitude du discernement. » Montesquieu, dont l'Essai sur le goût, destiné également à l'Encyclopédie, fut publié, inachevé, à la suite de l'article de Voltaire, insiste lui aussi sur cette rapidité de la réaction : « Le goût n'est autre chose que l'avantage de découvrir avec finesse et avec promptitude la mesure du plaisir que chaque chose doit donner aux hommes. »

Cette lucidité de l'œil, cette[...]

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Pour citer cet article

Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE. GOÛT, esthétique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Voltaire - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Voltaire

Autres références

  • ARCHITECTURE (Thèmes généraux) - Architecture et société

    • Écrit par Antoine PICON
    • 5 782 mots
    « On dit en général du goût que c'est un certain je-ne-sais-quoi-qui-plaît », déclare l'architecte Germain Boffrand dans son Livre d'architecture en 1745, en ajoutant que « cette idée est bien vague ». Aussi imprécise soit-elle, la référence des architectes des Lumières...
  • ART (Aspects esthétiques) - Le beau

    • Écrit par Yves MICHAUD
    • 5 576 mots
    • 6 médias
    ...séparé aux autres sentiments esthétiques, comme le sublime. D'autre part, il s'efforce de défendre encore la prétention à l'universalité du jugement de goût, alors que l'idée de goût implique au pire une diversité irréductible des jugements (ce que reconnaît déjà Du Bos), au mieux une normalisation des...
  • ART (Aspects culturels) - La consommation culturelle

    • Écrit par Pierre BOURDIEU
    • 4 058 mots
    • 2 médias
    ...choses de la vie, le goût populaire et le sérieux (ou la naïveté) même qu'il investit dans les fictions et les représentations indiquent a contrario que le goût pur opère une mise en suspens de l'adhésion « naïve » qui est une dimension d'un rapport quasi ludique avec les nécessités du monde. Voyant dans...
  • ART (Aspects culturels) - Public et art

    • Écrit par Nathalie HEINICH
    • 6 256 mots
    • 1 média
    ...puisqu'elle marque – en même temps qu'une certaine autonomisation de la production par rapport aux circuits marchands – une véritable institutionnalisation du goût comme faculté indépendante de la consommation matérielle, possédant en soi une finalité propre, désintéressée (ainsi que le conceptualisera l'esthétique...
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Voir aussi