CASTIGLIONE GIUSEPPE (1688-1766)
Originaire de Milan, Giuseppe Castiglione a sans doute reçu sa première formation de peintre avant son entrée au noviciat de Gênes en 1707. Se destinant à l'évangélisation en Chine, il est envoyé au Portugal en 1710 et termine son noviciat au couvent des jésuites de Coimbra, avant de s'embarquer, en 1714, à destination de Macao. Il y arrive en 1715 et gagne Canton, où il acquiert les bases de son éducation chinoise. À Pékin, à la fin de 1715, il est présenté à l'empereur Kangxi (1662-1722) comme peintre et commence à travailler pour la cour avec le Napolitain Matteo Ripa (1682-1745).
En 1721, Castiglione est nommé coadjuteur temporel et adopte le nom chinois de Lang Shining. Pendant ces premières années à Pékin, en dehors de son travail à l'Académie de peinture, établie dans l'enceinte du palais impérial, Castiglione collabore à la décoration de l'église Saint-Joseph (Dongtang), détruite au xixe siècle, et à l'adaptation en chinois du traité Perspectiva Pictorum et Architectorum d'Andrea Pozzo, dont il se dit le disciple.
À l'avènement de Qianlong (1736-1796), Castiglione a déjà acquis la première place parmi les peintres européens qui travaillent à la cour. Son activité sera désormais tout entière consacrée à l'empereur. En 1739, un nouveau peintre jésuite entre à la cour, le Français Jean-Denis Attiret (né à Dôle en 1702, mort à Pékin en 1768), qui se lie d'amitié et collabore avec Castiglione. En 1745 arrivera le père Ignace Sickelpart (1708-1780) que Castiglione formera à la peinture.
L'activité de Castiglione, parfois indissociable de celle de ses collègues européens et chinois, sera considérable de 1736 à 1766. Cette activité multiforme ira des rouleaux commémoratifs à la peinture de portrait et de chevaux, aux dessins pour des gravures ou pour la décoration des porcelaines de la manufacture impériale, enfin à la conception et à la maîtrise d'œuvre des palais et jardins à l'européenne que l'empereur fait édifier dans l'enceinte de son palais d'été du Yuanmingyuan, à partir de 1747. Castiglione mourra à Pékin avant la réalisation du dernier de ces palais.
Doté d'un remarquable talent et d'une solide formation, mais dont nous ne savons presque rien, Castiglione devra se dépouiller d'une partie de son éducation première et se mettre, en Chine, à l'école de la peinture chinoise. En effet, la majeure partie de son œuvre de peintre est exécutée à l'encre et en couleurs à l'eau sur soie. Les sujets traités sont ceux que lui demande l'empereur : fleurs, oiseaux, animaux familiers, mais surtout portraits et peintures de chevaux, tous ces sujets devant célébrer la personne impériale et sa politique. Seuls la perspective, le rendu du feuillage et du tronc de certains arbres conservent un parti occidental (Les Plantes de bon augure, 1723, musée national du Palais, Taibei).
Cette fusion de deux traditions picturales apparaît dans les genres où Castiglione excelle : le portrait et la peinture de chevaux. Devant s'adapter à la technique chinoise du pinceau, influencé peut-être par le goût des empereurs Qing pour la miniature européenne (en particulier sur émail), Castiglione a développé pour les contours une ligne très fine, très fluide, un peu vibrante, des couleurs transparentes, des ombrages en dégradés très doux, un rendu à la fois détaillé et naturel de l'anatomie. Ses études de chevaux, ses portraits de Qianlong (Les Khazakh présentant des chevaux à Qianlong, 1757, musée Guimet, Paris) introduisent dans la peinture chinoise un style totalement neuf qui, sous des procédés et selon des canons chinois, témoigne d'un réalisme, d'une organisation du mouvement, d'un sens du modelé proprement européens.
Les œuvres collectives formaient un volet important des activités des peintres de l'Académie au xviiie siècle. Castiglione participa ainsi avec les principaux artistes chinois à nombre de rouleaux officiels, comme la série intitulée Mulan (Musée national des arts asiatiques-Guimet, Paris). Les onze collaborateurs de cette vaste illustration des chasses impériales se sont partagé la tâche, la contribution de Castiglione se limitant aux quatre évocations de l'empereur.
De même, il collabora avec les autres artistes missionnaires de la cour à la commémoration des conquêtes de Qianlong en haute Asie, par des dessins qui furent gravés en France de 1767 à 1774.
En créant, toujours pour Qianlong, autour des jeux d'eau conçus par le jésuite français Michel Benoist (1715-1774) les fabriques et les jardins européens du Yuanmingyuan, Castiglione a contribué à une autre rencontre exceptionnelle entre la Chine et l'Occident, architecturale cette fois. À travers les recueils gravés, dont les bibliothèques jésuites de Pékin étaient bien pourvues, c'est dans sa propre culture italienne que Castiglione est revenu puiser, adaptant les motifs de la villa baroque ainsi que son vocabulaire aux modes de construction chinois.
Les études récentes sur ces palais (travaux français de la mission Palais d'Été, Vincent Droguet dans Histoire de l'art, no 25-26, mai 1994) comme celles sur la peinture de cour sous le règne de Qianlong (The Elegant Brush, Chinese Painting under the Qianlong Emperor, Phenix Art Museum, 1985) ont permis d'opérer un début de réhabilitation de ce très grand artiste que son double exotisme et son engagement au service de l'empereur desservent encore. Malgré tout, de multiples questions subsistent tant en amont sur ses sources d'inspiration en Europe qu'en aval sur l'influence qu'il exerça en Chine.
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Écrit par
- Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS : directrice d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
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