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GRODDECK GEORG (1866-1934)

Les enjeux essentiels du dialogue

L'inconscient, dit Freud, précisément dans une lettre à Groddeck, est une façon de parler, « une caractéristique à défaut d'une meilleure connaissance ; comme si je disais : le monsieur en havelock, dont je ne peux voir le visage nettement ». Bien qu'affirmé comme substance, il n'en reste pas moins une affaire de parole et il ne saurait être saisi en substance. « J'ai [contrairement à vous, Groddeck] un talent particulier pour le contentement fragmentaire », affirme Freud dans le même passage.

Or, pour Georg Groddeck, le langage est instrument de mensonge, de duperie et d'erreurs. « L'homme ne peut traduire son être dans les mots ; la parole ne le rend nullement capable de dire la vérité. Un pas de plus et on reconnaît que dans la parole se cache déjà la falsification de la vérité » (La Maladie, l'Art et le Symbole). Ainsi affirmera-t-il de la distinction de l'âme et du corps qu'elle est « uniquement une distinction de mots et non d'essence ; que le corps et l'âme sont quelque chose de commun ; qu'il s'y trouve un ça, une force par laquelle nous sommes vécus, cependant que nous croyons vivre » (Ça et moi). Le « ça » groddeckien apparaît donc comme substance, en deçà du mensonge des mots.

C'est là que se noue toute la différence entre Freud et Groddeck. On pourrait la retrouver en tous les points saillants de leur dialogue, en toutes les options de Groddeck, qu'on ne saurait dire théoriques, précisément parce que la théorie est pour lui une articulation verbale et mensongère, au service de la falsification de la vérité. Freud voulait être un scientifique, balbutiant laborieusement des vérités fragmentaires qui pouvaient toujours être infirmées ou réarticulées. Groddeck affirmait que le ça est porteur de vérité absolue et, bien plus, qu'il est possible de le laisser parler en soi et à travers soi : à la manière dont le poète se fait voyant et rend compte de son voyage, au prix d'un deuil de sa revendication de maîtrise. Pour Groddeck la science, dans sa prétention à dominer la nature, est objet de risée.

Une telle position lui a permis des développements fulgurants, qui portent sur bien des points aveugles de la clinique analytique. Qu'il traite des affections somatiques, ou de la bisexualité humaine, qu'il expose des considérations morales, éducatives ou sociales, il exerce un salutaire et joyeux ravage. Il voit dans le corps le lieu d'une raison en soi, qui ne doit rien à l'élaboration intellectuelle. Quand Freud affirmait que l'hystérique constitue son corps, en tout ou partie, comme objet érotique, c'était déjà scandaleux ; Groddeck va jusqu'à dire, par exemple, que le nerf optique est masculin et les cavités cardiaques féminines ! Scandale, combien plus grand, d'un corps non plus interprété, mais en soi chargé de sens et d'érotisme !

On peut être certain que Freud était conscient du caractère inévitablement fragmentaire de sa démarche scientifique, et il est probable qu'il le regrettait, sans illusion ni tristesse cependant. Cela explique son admiration pour les poètes, visionnaires qui saisissent immédiatement ce que la science balbutie laborieusement. C'est là aussi la source de son attachement, à première vue difficilement compréhensible, pour Groddeck, pour sa vigoureuse santé, pour sa provocante et joyeuse liberté. Était-ce le signe d'une nostalgie de ce dont le scientifique doit faire son deuil ? En tout cas, Freud a défendu Groddeck contre les clercs ; il a imposé, dans la collection officielle de l'Association psychanalytique, le « Verlag », la publication en 1921 de son « roman psychanalytique », Der Seelensucher (Le Chercheur d'âmes), qui devait offusquer les esprits bien pensants du mouvement psychanalytique,[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à l'université de Paris-VII, psychanalyste, membre de l'Association psychanalytique de France

Classification

Pour citer cet article

François GANTHERET. GRODDECK GEORG (1866-1934) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÇA, psychanalyse

    • Écrit par Anne-Marie LERICHE
    • 649 mots

    Le pronom neutre allemand substantivé Es, que l'on traduit par « ça », a été emprunté par Freud à Groddeck (Le Livre du ça), en lui donnant toutefois une signification différente ; alors que, pour Groddeck, le ça englobe tout (conscient, inconscient, système végétatif) et a un...

Voir aussi