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WISEMAN FREDERICK (1930- )

Professeur de droit, l'Américain Frederick Wiseman vint au cinéma avec TiticutFollies(1967), film consacré à un centre psychiatrique, et réalisé en prolongement de son enseignement. Il a ensuite mené une investigation systématique des institutions (ce qui, dans une société, présente une structure cohérente au niveau du personnel, des buts poursuivis, des règles observées : hôpitaux, corps de ballet, grands magasins, parcs zoologiques, etc.). À travers ces îlots de société, il a dressé peu à peu un portrait de l'Amérique du quotidien dans une perspective qu'on pourrait dire « sociographique » plutôt que sociologique ; en se référant à la distinction classique entre ethnographie et ethnologie : High School (1968) ; Law and Order (1969) ; Hospital (1970) ; Basic Training (1971) ; Essene (1972) ;Juvenile Court (1973) ; Primate (1974) ; Welfare (1975) ; Meat (1976) ;Manoeuvre (1979) ; Model (1980) ; Seraphita'sDiary (1982) ; The Store (1983) ; Race Track (1985) ; Deaf (1985) ; Blind (1986) ; Multi-Handicapped (1986) ; Adjustment and Work (1986) ; Missile (1987) ; Central Park (1989) ; Aspen (1991) ; Zoo (1993) ; Domestic Violence (2001 et 2002) ; At Berkeley (2013). Il n'a pas limité ses investigations au territoire américain, s'intéressant à des morceaux d'Amérique en terre étrangère, comme la zone du canal de Panamá (Canal Zone, 1977), ou à la présence américaine au Moyen-Orient (Sinai Field Mission, 1978). Depuis ces dernières années, il a étendu son champ d'intervention à des institutions culturelles étrangères, en Suède (Ballet, 1993), en France (Comédie-Française, 1996 ; La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, 2009 ; Crazy Horse, 2011) ou le Royaume-Uni (National Gallery, 2014).

Frederick Wiseman filme – avec un œil de juriste, intervenant le moins possible et sans émotion apparente – les témoignages nécessaires à une instruction. Redoutant les idées préconçues, les a priori politiques, il vise à rendre compte par le montage de la logique et de la continuité des événements filmés. Limitant les contacts préalables, il s'introduit avec un grand souci de transparence dans le milieu qui fait l'objet de l'enquête, et développe son procès-verbal avec une minutie qui vaut analyse, et parfois avec une froideur qu'il n'essaie pas d'atténuer. L'ensemble de ses films donne une précieuse image de l'Amérique contemporaine, bien différente de celle que divulgue le cinéma conventionnel, celui qui s'exporte. Sa rigueur le conduit jusqu'au bout de ses entreprises, sans se laisser arrêter par la longueur du film quand le sujet l'exige ni par le caractère parfois difficilement soutenable de certaines scènes filmées non par complaisance, mais par nécessité. TiticutFolliesétait déjà un bon exemple du refus de toute concession (le film, longtemps censuré, en a payé le prix), mais un autre film, Near Death (Au bord de la mort, 1988), qui dure plus de cinq heures, est encore plus impressionnant. Nous sommes à Boston, au « Beth Israel Hospital ». Chaque ambulance qui arrive, sirène hurlante, livre un cas. La machine hospitalière se met en route, et la caméra la regarde fonctionner. Le film est une plongée hallucinante aux confins de la mort, quand la médecine tente de faire survivre des patients condamnés. Le documentaire est ici porté à sa limite extrême.

Frederick Wiseman travaille sur contrat avec une chaîne de télévision publique, ce qui lui assure une audience restreinte mais attentive et lui vaut un respect mêlé d'appréhension de la part des institutions ainsi examinées. Par ailleurs, en 2002, il a réalisé une œuvre de fiction, La Dernière Lettre, à partir d'un chapitre du roman Vie et destin, de Vassili Grossman.

— Guy GAUTHIER

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Écrit par

  • : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot

Classification

Pour citer cet article

Guy GAUTHIER. WISEMAN FREDERICK (1930- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AFRO-AMÉRICAIN CINÉMA

    • Écrit par Raphaël BASSAN
    • 6 876 mots
    • 3 médias
    Deux films dus à des personnalités mondialement reconnues, le réalisateur haïtien Raoul Peck (I Am Not your Negro, 2016) et Frederick Wiseman (Ex Libris. The New York Public Library, 2017), font un état des lieux assez préoccupant de l’intégration des Afro-Américains aux États-Unis. Dans son...

Voir aussi