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BON FRANÇOIS (1953- )

L'histoire du roman a depuis longtemps décliné la liste des positions que l'écriture peut prendre devant le réel, en jouant de toutes les continuités, ruptures, fidélités et volte-face. François Bon, né en 1953, se trouve placé dans cet inconfort : vouloir formaliser et prolonger l'expérience de vivre dans l'écriture, c'est aujourd'hui se frayer un chemin étroit entre les grandes sommes engendrées par le génie universel (on lira à ce propos son Proust est une fiction, 2013), la masse des produits médiocres pourvoyeurs d'illusions paresseuses, et une littérature aventureuse qui saurait dire le présent. François Bon est fils d'institutrice. Très jeune, il tient des carnets à partir de sa découverte des écrivains surréalistes, puis s'éloigne de l'écriture pour plusieurs années. Technicien d'usine à l'étranger, il reprend conscience qu'elle lui est pourtant essentielle, et il engage une série de récits nombreux. Très vite, il apparaît comme un des plus brillants jeunes romanciers apparus dans les années 1980, il est aussi un des rares à prendre en considération l'avènement du numérique, notamment à travers les sites remue.net et Publie.net. Ses réflexions sur ce sujet ont paru dans Après le livre (2011).

L'univers de François Bon est une gigantesque machine cassée. Quelque chose, par à-coups, s'est brisé dans la seconde moitié du xxe siècle. L'aliénation par le travail, la peur et la vie gâchée (Sortie d'usine, 1982) se sont prolongées en des spectres plus redoutables encore. Les paysages industriels de Bombay, Moscou ou Vitry-sur-Seine sont les nécropoles de ce qui fut la classe ouvrière (Temps machine, 1993) ou de l'histoire assassinée (Berlin dans Calvaire des chiens, 1990). Les consciences se sont défaites dans leur impossible effort à se rejoindre (Parking, 1996), et les personnages authentiques sont ceux de la marge (Le Crime de Buzon, 1986). Quand la vie les a réunis pour un bref moment (Limite, 1985), ils s'en retournent à leur solitude, leur mort ou leur folie. Observateur aigu de la détresse sociale (Un fait divers, 1993), François Bon évite les classifications desséchantes du sociologue ou le pathos journalistique. Il déjoue les pièges du voyeurisme dans la mission qu'il s'assigne de conserver dans leur force d'émotion les mots et les visages gommés par l'histoire (C'était toute une vie, 1995). Dans L'Enterrement (1992), bref récit sur la disparition d'un ami proche et qui est inhumé dans une campagne de l'Ouest français, l'évocation du défunt s'insère dans le monologue intérieur chaotique du narrateur, qui suit les moments réglés d'une mise en scène funéraire dans le « réel quotidien ». Construit autour du décès d'un père qui était mécanicien, le récit haletant et simultanéiste de Mécanique (2001) dit l'histoire d'une subjectivité en miettes et la confusion des sentiments. Bon n'imite personne, mais il a retenu les leçons de style des romanciers américains (Faulkner notamment), de Cendrars ou d'Apollinaire.

Savant connaisseur de l'œuvre de Rabelais, il consacre à l'auteur de Pantagruel un essai qui fait la genèse de l'œuvre (La Folie Rabelais, 1990). L'édition des quatre premiers livres qu'il préface en 1994 se fait d'après la ponctuation originale, et la réflexion se poursuit avec La Pantagruéline Pronostication. Bon s'y montre fasciné par les savoirs de la Renaissance, ceux de Rabelais ou de Cervantès, qui ont moins apporté à la connaissance qu'ils n'ont héroïquement affronté les espaces infinis de l'obscur. La belle méditation sur le temps menée à l'occasion d'une rencontre avec le graveur Jacques Muron (Le Solitaire. Jacques Muron, 1996), n'interdit pas le plaisir d'écrire[...]

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Pour citer cet article

Michel P. SCHMITT. BON FRANÇOIS (1953- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PROUST EST UNE FICTION (F. Bon) - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel P. SCHMITT
    • 991 mots

    Tandis que se multiplient les commémorations du centenaire de la parution de Du côté dechez Swann, François Bon publie un livre au titre délicieusement ambigu, Proust est une fiction (Seuil, 2013). D’une façon lointainement oulipienne, l’ouvrage se présente sous la forme de cent fragments autonomes,...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Dominique VIART
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...expérience d’établissement en entreprise, à mi-chemin du roman (mais sans intrigue ni personnages identifiés) et du poème en prose. La même année, François Bon (Sortie d’usine) plonge quant à lui son lecteur dans la conscience même de l’ouvrier durant une semaine qui voit se succéder accident et...
  • ROMAN - Le roman français contemporain

    • Écrit par Dominique VIART
    • 7 971 mots
    • 11 médias
    ...d'histoires...) brassée par les journaux (Olivier Rolin, L'Invention du monde, 1993) ou comme matérialité abandonnée, ainsi Paysage fer (1997) de François Bon récapitule les bâtiments et objets délaissés qui, le long de la ligne ferrée Paris-Nancy, témoignent de la fin de l'âge industriel....

Voir aussi