ROCKEFELLER FONDATION

Au début du xx^e siècle, John D. Rockefeller senior (1839-1937), s'inspirant des mêmes idées que son contemporain Andrew Carnegie, fonde en 1901 à New York le Rockefeller Institute for Medical Research (devenu, en 1965, la Rockefeller University), en 1902, le General Education Board et, en 1909, la Rockefeller Sanitary Commission, absorbés au sein de la Fondation Rockefeller, créée en 1913. À la différence de Carnegie, resté célibataire, il a un fils, John D. junior, auquel il entend transmettre son empire pétrolier de la Standard Oil. En mars 1910, il présente un projet de loi visant à créer une fondation « sous la protection du Congrès », ce qui est mal reçu par une opinion publique désireuse de voir les efforts antitrusts de Taft aboutir à la dissolution de l'empire Rockefeller. Celle-ci est prononcée par un jugement de la Cour suprême l'année suivante et la Fondation Rockefeller est finalement créée, selon les dispositions législatives de l'État de New York, en 1913. Cette fondation permet à la famille Rockefeller, avec d'autres fondations qu'elle contrôle et avec l'appui de la Chase Manhattan Bank, de continuer à exercer une influence sur les diverses sociétés issues de la fragmentation de 1911, en particulier sur la première entreprise pétrolière mondiale, la Standard Oil of New Jersey, dont la Fondation Rockefeller possédait à elle seule trois millions d'actions.

La Fondation Rockefeller, comme sa contemporaine, la Corporation Carnegie, et sa partenaire plus récente, la Fondation Ford, intervient lorsque l'absence ou la faiblesse de certains appareils d'État (par exemple dans le domaine de l'éducation ou de la santé) ou la politique à trop court terme du Congrès (face aux problèmes sociaux internes ou aux problèmes internationaux) mettent en danger le fonctionnement global de la société des États-Unis.

Ainsi, au début du xx^e siècle, le sud rural des États-Unis semble comme frappé de stupeur et de paralysie. La Fondation Rockefeller estime que cela provient de la mauvaise santé de la population et identifie le facteur de morbidité : l'ankylostome (parasite). Elle supplée à la carence de l'État dans le domaine des services sanitaires, jusqu'au moment où les élus admettent la nécessité de tels services. Elle agit de même dans le domaine de l'enseignement et de la recherche. Elle ne limite pas son intérêt aux États-Unis. Elle essaye d'abord, sans succès, de créer une université Johns Hopkins of China, à l'image de la Yale in China, fondée en 1902. En 1914, elle réussit à créer le China Medical Board, puis, en 1921, le Peking Union Medical College. En Inde, la Fondation finance l'All India Institute of Medical Sciences, en 1956, et contribue, avec la Fondation Ford, à modeler une élite tournée vers les États-Unis.

Dans le domaine des maladies tropicales, la Fondation a longtemps subventionné des recherches, si nécessaires aux Occidentaux pour leur propre santé et si utiles à leur domination sur les élites locales (1937, vaccin contre la fièvre jaune ; 1939, lutte contre la malaria au Brésil). Médecine, agriculture et Tiers Monde constituent pour elle trois domaines d'intervention privilégiés.

Elle ne s'est guère risquée à intervenir directement dans l'étude des conflits sociaux depuis sa malheureuse tentative de recherche sur les problèmes du travail au moment où se déclenchait, en 1914, une grève dans une filiale du groupe Rockefeller, aboutissant à l'un des plus tragiques épisodes de l'histoire ouvrière des États-Unis, le massacre de Ludlow.

L'étude des problèmes sociaux majeurs n'est pas délaissée par le groupe Rockefeller : il a créé son propre organisme de recherches économiques et sociales, l'Agricultural Development Council ; il a largement financé le Population Council, qui étudie les moyens d'amener[...]