LABISSE FÉLIX (1905-1982)

« On est surréaliste comme on est nègre, il n'y a rien à faire », proclamait Félix Labisse, un des peintres marquants de l'art fantastique du xxe siècle, de la génération de Magritte, Delvaux, Dalí, Max Ernst, André Masson... À travers des sources d'inspiration multiples, mythologie antique, ésotérismes, histoire littéraire et picturale, il a su donner des accents corrosifs à ses créations où dominent un sens certain de l'humour et une propension non dissimulée à l'érotisme.

Né à Douai en 1905, Labisse passe son enfance sur les rives belges de la mer du Nord, son père ayant abandonné la minoterie pour l'armement de pêche. Au cours de cinq années d'études à l'école de pêche d'Ostende, il se lie avec le milieu artistique et littéraire ostendais et décide, à vingt et un ans, de se consacrer à la peinture, encouragé en cela par James Ensor. Il fréquente l'atelier du « maître d'Ostende » pendant quelque temps. Ses premières toiles, comme Les Flamands (1933), Le Grand Carnaval ostendais (1936), s'inspirent de l'univers culturel flamand : paysans grimaçants, cohortes de guerriers, de gnomes, masques en promenade rappellent le monde d'Ensor, et, au-delà, celui de Bosch et de Bruegel l'Ancien. La facture est déjà très lisse, les couleurs flamboyantes.

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Parallèlement, le jeune Labisse fonde un ciné-club d'avant-garde et tourne avec Henri Storck un film surréaliste, La Mort de Vénus (1928). De 1930 à 1933, il anime la revue Tribord qui réunit des écrivains des Cahiers de la Flandre littéraire, des illustrateurs-comme Spilliaert, des photographes et des cinéastes. On y célèbre Apollinaire, « mage des mystères modernes, empereur des mots vrais », et William Blake, dont Labisse récite les « proverbes de l'enfer ». Sous l'influence de ce milieu proche des cercles surréalistes français et de la Société du mystère — dont Magritte, à Bruxelles, est l'inspirateur —, Labisse gardera une attirance particulière pour toutes les formes de la culture païenne : magie, sorcellerie, occultisme. Fidèle à la volonté iconoclaste des surréalistes, il transformera la mythologie universelle en une sorte de démonologie personnelle. Le Bonheur d'être aimée (1943), représentation ironique d'une femme à tête de panthère et au corps tronqué, Jeune Figue posant pour Léonard de Vinci une annonciation (1946), madone nue à tête de figue, préfigurent les alliances insolites qui constitueront son univers.

C'est aux alentours de 1933 que Labisse s'installe à Paris. Il réalise des affiches pour le cinéma (Le Roi Pausole et Don Quichotte de W. Pabst, Zéro de conduite de Jean Vigo). En dépit de quelques expositions en Belgique et à Paris à cette époque, sa carrière internationale ne débute vraiment qu'après guerre. À la suite d'un voyage au Brésil avec Jean-Louis Barrault, les musées de Rio, de São Paulo et de Buenos Aires présentent, en 1950, un certain nombre de ses toiles. Il expose ensuite dans plusieurs institutions européennes : palais des Beaux-Arts de Bruxelles (1953), musée Galliera, Paris (1963), Royal Academy of Art de Londres (1969), Kursaal d'Ostende (1979). Il participe à la biennale de Venise de 1954 et est commissaire à plusieurs reprises de celle de São Paulo. Membre de l'Académie des beaux-arts, puis son président depuis 1979, il se voit attribuer de nombreuses décorations étrangères. Nul ne s'étonnera que ce peintre officialisé se soit inscrit avec succès sur le marché de l'art ; des galeries parisiennes comme la Galerie de France et Isy Brachot l'ont exposé.

À partir du moment où Labisse s'est attaché à la veine surréaliste, il devient difficile d'appréhender son œuvre par périodes. Certains thèmes sont développés avec ténacité : série des Roses, série des Libidoscaphes (« formes marines toujours très compliquées et toujours sexuelles », selon les propres termes de Labisse), série des Hommages à. Des sujets comme la femme et la sorcellerie reviennent avec insistance. Labisse affectionne une représentation de l'éternel féminin, perverse et démoniaque : femmes à tête de serpent ou d'oiseau, hérissées de cornes, revêtues d'écailles ou de fourrures (Conciliabule de Dagade, Barbette, Cassecouille, Bertrance et Mandragola 1976), femmes bleues à la nudité hiératique, roses griffues... Pourtant, comme le rappelle le critique Otto Hahn, dans ce fantastique, « rien ne repose sur l'inconscient, tout refuse l'abandon au rêve ». Les mulâtresses, les êtres hybrides d'où saillent sexes, branches ou antennes, les hommes-oiseaux, tous sont plantés dans des décors d'une luminosité glacée. Malgré la monstruosité des mises en scène, la peinture reste méticuleuse, lisse, distante.

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Les créations de Labisse font partie d'un univers théâtral, comme l'attestent ses nombreuses collaborations à des décors (plus de soixante-quinze pour le théâtre et l'opéra). C'est souvent la confrontation du titre et de la représentation qui fournit la clef de l'œuvre. Certains lui reprocheront d'avoir utilisé des procédés picturaux très conventionnels recelant, selon l'expression de J.-J. Levêque, « les accents d'un certain pompiérisme cultivé » en contradiction avec le propos dérangeant du surréalisme.

Protégé par les nombreux objets de magie collectés au cours de ses voyages, Félix Labisse, dans son hôtel de Neuilly, disait à qui voulait l'entendre : « Il faut avoir le sang chaud et la tête froide. »

— Sophie DESWARTE

Bibliographie

Labisse. Catalogue de l'œuvre peinte, 1927-1979, Isy Brachot, Bruxelles, 1979 / P. Waldberg, Félix Labisse, André de Rache, Bruxelles, 1970.

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