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JOHNSON EYVIND OLOF VERNER (1900-1976)

Le romancier suédois Eyvind Johnson représentait l'une des tendances littéraires les plus originales qu'ait connues la Suède en ce xxe siècle ; c'est d'ailleurs à ce titre que, conjointement avec son homologue Harry Martinson, il avait obtenu le prix Nobel en 1974. Tous deux pouvaient passer, en effet, pour les chefs de file (avec Arthur Lundkvist et Vilhelm Moberg) du mouvement fort improprement appelé prolétaire ou autodidacte. Cette dénomination entendait s'appliquer, en fait, à des écrivains sortis du peuple et venus aux lettres par un effort de culture personnelle, intimement mêlés aux luttes politiques, idéologiques et littéraires de leur temps (qui va, en gros, de 1910 à 1950) et pour qui le fait d'écrire était un moyen de connaissance et de libération.

Eyvind Johnson, né à Svartbjörnsbyn, dans l'extrême nord de la Suède (Norrbotten), était fils d'ouvrier. Mais son père, constamment malade, avait bientôt confié son fils à divers parents, en sorte que l'enfant connut la pauvreté et dut chercher à gagner sa vie dès l'âge de quatorze ans, sur place d'abord, puis, à partir de 1919, à Stockholm, où il fut ouvrier métallurgiste, chômeur et plumitif pour le compte de divers journaux, tout en militant fort activement dans divers mouvements socialistes ou syndicaux. C'est un autodidacte passionné, qui voyage beaucoup, se fixe à Berlin pour un temps, puis à Paris, édite avec quelques amis une revue, Notre Temps (1920), et publie, en 1924, sa première œuvre, un recueil de nouvelles intitulé Les Quatre Étrangers, qui est une variation sur le thème de la faim.

Désormais, son œuvre garde un certain ton polémique : son premier grand roman, Les Timan et la justice (1925), est un brûlot anticapitaliste ; au portrait idéal du vieux Timan s'oppose la mauvaise conscience de son fils, exploiteur torturé par le sentiment de culpabilité.

On retrouvera régulièrement ce thème dans toute la production, en particulier dans Commentaire sur la chute d'une étoile (1929). Mais l'inspiration est ici plus riche encore : une vision quasi existentialiste du monde l'oriente souvent. Déjà, le fils Timan souffrait du divorce entre action et réflexion, rêve et réalité. Johnson poussera fort avant ses investigations dans ce sens, lisant Freud, se passionnant de psychologie comme l'instituteur Anderson, son personnage de Ville dans les ténèbres (1927). Enfin, et c'est le troisième toron de ce fil, le Norrland fait la toile de fond de la plupart des livres, avec sa nature grandiose et intacte.

À partir de 1925, un séjour en France, où il se marie (1927), l'incite à s'intéresser aussi aux recherches formelles, comme en témoigne, entre autres, Se souvenir (1928), qui est une étude d'un cas de schizophrénie mais qui introduit aussi dans les lettres suédoises le monologue intérieur.

Revenu en Suède dans les années trente, Johnson entreprend de retracer son itinéraire intellectuel et spirituel dans une vaste autobiographie, Le Roman d'Olof, en quatre parties (Alors, ce fut 1914, 1934 ; Voici ta vie, 1935 ; Ne te retourne pas, 1936 ; Finale de la jeunesse, 1937). On peut tenir Le Roman d'Olof pour un modèle de « roman de formation » (au sens allemand de Bildungsroman qu'illustre le Wilhelm Meister de Goethe) comme en ont écrit la plupart des romanciers autodidactes suédois.

Avec la montée du nazisme, une nouvelle tendance apparaît. Dès le début, Johnson sera l'un des plus ardents à fustiger l'hitlérisme, dans Exercice de nuit (1938) puis dans Le Retour du soldat ( 1940). Volet négatif d'une réflexion dont l'aspect positif — il faut renoncer à la neutralité suédoise et promouvoir une véritable démocratie — s'exprimera dans la grande trilogie romanesque Krilon (Le Groupe Krilon, 1941 ; Le Voyage de Krilon, 1942 ; Krilon[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Régis BOYER. JOHNSON EYVIND OLOF VERNER (1900-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PROLÉTAIRES ÉCRIVAINS SCANDINAVES dits

    • Écrit par Régis BOYER
    • 3 238 mots
    ...veine allait, en conjonction avec l'irrésistible montée de la social-démocratie, trouver, à partir des années 1930, des zélateurs de qualité que récompensera tardivement le prix Nobel, en 1974 : Eyvind Johnson et Harry Martinson, auxquels on adjoindra quelques autres représentants de premier ordre.
  • SUÈDE

    • Écrit par Régis BOYER, Michel CABOURET, Maurice CARREZ, Georges CHABOT, Universalis, Jean-Claude MAITROT, Jean-Pierre MOUSSON-LESTANG, Lucien MUSSET, Claude NORDMANN, Jean PARENT
    • 35 770 mots
    • 19 médias
    ...Paul Morand dans Voyages sans but (1932), romancier du Chemin de Klockrike (1948) et poète qui sut renouveler le vocabulaire pour décrire ses errances. Eyvind Johnson (1900-1976) est un romancier lucide et réfléchi dont la trilogie Krilon (1941-1943), qui défendait au prix d'une allégorie transparente...

Voir aussi